mercredi 28 juin 2023

MACHINE A GAZ

 Les ZFE offrent déjà la polémique d'une différence de traitement selon si vous êtes un gueux ou un notable.

Mesure sanitaire ou « bombe sociale » ? Comment la question des ZFE peut devenir explosive

Bientôt mises en place dans plus de 40 agglomérations françaises, les Zones à faible émission (ZFE) visent à améliorer la qualité de l’air. Mais ses détracteurs pointent l’illisibilité du dispositif et le risque de créer une fracture sociale et territoriale qui pourrait déclencher un mouvement de contestation type Gilets jaunes.


« Personne n’a rien compris à ce texte. Les Français ne le comprennent pas, les médias ne le comprennent pas. » Lancer Pierre Chasseray, sur la question des ZFE, c’est prendre le risque de recevoir une volée de bois vert. À propos de ces zones à faible émission déjà mises en place dans onze métropoles françaises pour réduire la pollution de l’air et qui en concerneront 43 d’ici 2025, le porte-parole de 40 millions d’automobilistes ne mâche pas ses mots et multiplie les éléments de langage sur un ton mi-condescendant, mi-indigné.



« Personne n’a rien compris à ce texte. Les Français ne le comprennent pas, les médias ne le comprennent pas. » Lancer Pierre Chasseray, sur la question des ZFE, c’est prendre le risque de recevoir une volée de bois vert. À propos de ces zones à faible émission déjà mises en place dans onze métropoles françaises pour réduire la pollution de l’air et qui en concerneront 43 d’ici 2025, le porte-parole de 40 millions d’automobilistes ne mâche pas ses mots et multiplie les éléments de langage sur un ton mi-condescendant, mi-indigné.


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« Zone à forte exclusion »« bombe sociale », son association revendique la paternité de ces expressions, depuis abondamment reprises pour qualifier la mesure. Et si derrière ces bons mots, la réalité est plus nuancée, le sujet n’en est pas moins explosif et suscite des craintes quant à une potentielle fracture sociale et territoriale. Enquête.

40 000 morts par an à cause de la pollution de l’air

À l’origine, un constat. Selon Santé publique France, plus de 40 000 personnes meurent chaque année prématurément à cause de la pollution de l’air et notamment de l’exposition aux particules fines et au dioxyde d’azote.

Face à cette situation, les gouvernements successifs à la tête de la France dans les années 2010 ont pris des mesures pour permettre aux grandes villes de restreindre leur accès aux véhicules les plus anciens considérés comme les plus polluants. Mais depuis 2019, la loi va plus loin puisqu’elle impose ces Zones à faible émission dans les secteurs urbains où les limites de qualité de l’air sont dépassées.

Actuellement, onze métropoles ont mis en place des ZFE. Il s’agit du Grand Paris, de Lyon, d’Aix-Marseille, de Toulouse, de Nice, de Montpellier, de Strasbourg, de Grenoble, de Rouen, de Reims et de Saint-Étienne. Une liste qui sera élargie d’ici 2025, puisque conformément à la loi Climat et résilience de 2021, toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants devront mettre en place un tel dispositif. À terme, ce sont 13 millions de véhicules qui pourraient être concernés.

Des calendriers progressifs

Strasbourg a lancé sa ZFE en janvier 2022 face à « l’urgence à agir pour garantir une santé publique pour nos habitants », explique Pia Imbs, présidente de la métropole depuis 2020, qui rappelle que la pollution engendre 500 décès par an sur son territoire. Pour l’instant, seuls les véhicules non classés et de Crit’air 5 sont interdits. Pour les Crit’air 4, l’heure est encore à la pédagogie mais ils seront définitivement interdits au 1er janvier 2024. Viendront ensuite les Crit’air 3 en 2025.

« Mon rôle est de déployer cette politique de façon très progressive pour qu’elle soit acceptable et qu’elle prenne en compte la réalité du territoire », poursuit celle qui est aussi maire d’Holtzheim. Avant la mise en place de la ZFE, elle explique avoir « beaucoup consulté, dialogué » avec toutes les parties prenantes.


Cela a abouti sur un certain nombre de dérogations renouvelables tous les trois ans. Elles concernent par exemple, les véhicules de déménagement ou encore ceux qui approvisionnent les marchés. Un « pass ZFE 24h » a aussi été mis en place. Il permet à un véhicule, interdit, d’entrer jusqu’à 24 reprises par an dans la zone concernée pour une durée de 24 heures à chaque fois.

Le risque d’un dispositif illisible

Les ZFE sont prévues par la loi et l’État impose un calendrier minimal (interdiction du Crit’air 5 en 2023, du Crit’air 4 en 2024 et du Crit’air 3 en 2025) pour les métropoles qui dépassent les limites de qualité de l’air (actuellement Lyon, Paris, Aix-Marseille, Strasbourg et Rouen).


Mais à l’intérieur de ce cadre, il a choisi de laisser un large marge manœuvre aux agglomérations. « Laisser du pouvoir aux collectivités, c’est intelligent sur des mesures aussi sensibles, d’autant que chaque territoire a ses spécificités. Mais encore faut-il leur donner les moyens financiers et réglementaires de le faire », juge Marine Tondelier, secrétaire national d’Europe Ecologie-Les Verts.

Mais avec la multiplication du nombre de métropoles concernées, le dispositif prend le risque de devenir totalement illisible pour les citoyens. « Il faut que vous puissiez comprendre où vous avez le droit et de ne pas aller », estime Antoine Vermorel-Marques, député LR.

Plusieurs voix de droite comme de gauche appellent à plus d’uniformisation. « C’est paradoxal. À l’époque de la loi, tout le monde réclamait plus de libertés pour les métropoles », rétorque Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique en 2020 et 2022 et désormais chargée d’une mission sur les ZFE. La députée Renaissance reconnaît toutefois que « la clarté du dispositif fait partie des enjeux que nous devons régler ».

Le gouvernement reste discret

Les regards se tournent alors vers le gouvernement qui se montre plutôt discret même s’il a nommé un coordinateur au début de l’année et qu’il a chargé Barbara Pompili d’une mission sur le sujet. Interrogée en mars sur les ZFE, Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique, avait renvoyé la balle aux collectivités locales, estimant qu’elles s’étaient « précipitées » au moment des municipales de 2020.

« Ne laissons pas les pauvres présidents et présidentes de métropole assumer seuls une décision qui a été prise par l’État. Ce n’est pas responsable. La loi c’est le gouvernement, c’est le parlement qui l’a souhaitée », répond Gérard Leseul, député socialiste qui a participé à une mission flash sur le sujet des ZFE.

Le ministère de la Transition écologique assure qu’il a mis en place une concertation nationale pour travailler sur l’harmonisation des règles et l’acceptabilité sociale des ZFE. Une campagne de communication nationale devrait en découler d’ici la fin de l’année. Des actions jugées tardives par de nombreux acteurs.

Car si le gouvernement peine à prendre ses responsabilités, c’est que le sujet est glissant. De nombreuses personnalités politiques mettent en garde sur les conséquences sociales et territoriales des ZFE. « Avec ce dispositif en l’état, ce sont les classes populaires et les plus précaires qui vont se retrouver pénalisés », juge notamment Sylvain Carrière, député LFI.

« Une mesure qui peut être assez stigmatisante »

Selon un rapport du ministère de la Transition écologique publié fin 2020, les véhicules non classés, de Crit’air 5, 4 et 3 représentait 49 % du parc automobile français des particuliers. Mais ce chiffre monte à 66 % pour les 20 % de Français les plus pauvres.

« C’est une mesure qui peut être assez stigmatisante », reconnaît Marine Tondelier. « C’est pour cela qu’il faut trouver des mesures d’accompagnement », enchaîne Gérard Leseul. Le député socialiste évoque notamment le développement des transports collectif.

À Strasbourg, l’Eurométropole a décidé de mobiliser 500 millions d’euros sur son mandat « pour proposer des mobilités plus décarbonées et alternatives », rappelle Pia Imbs. Par exemple, pour le développement d’un système de RER, le lancement de trois lignes de trams supplémentaires, de lignes de bus ou de voies expresses réservées aux cars et la création de nouvelles pistes cyclables.

Centre-ville contre périphéries ?

Sauf que ces investissements prennent du temps et que toutes les métropoles ne sont pas aussi avancées. « À Montpellier, 31 communes seront concernées par la ZFE. C’est le cas de Montaud, un petit village de moins de 1 000 habitants qui est à 31 km du centre-ville. Vous n’avez pas de tram et très peu de bus et pourtant il sera directement touché », raconte Sylvain Carrière. Des inégalités d’accès qui seraient encore plus grandes avec les communes à la frontière de la ZFE, poursuit l’élu LFI.

« Faire un effort sur la voiture d’accord, mais il ne faut pas se retrouver avec d’un côté les habitants du centre-ville qui peuvent se déplacer en métro ou à vélo. Et de l’autre ceux qui sont en périphérie et qui ne peuvent plus accéder à la ville », met aussi en garde Marine Tondelier.

Pour cette raison, Sylvain Carrière demande une suspension de la mise en place des ZFE le temps de développer les transports en commun. Ces derniers mois, plusieurs métropoles ont d’ailleurs choisi de faire une pause dans leur calendrier. C’est le cas de Lyon mais aussi de Reims, tandis que Strasbourg, qui envisageait d’interdire les Crit’air 2 en 2026, a reporté l’échéance à 2028 et conditionné ce nouvel acte à une évaluation.

« Il faut faire coller le calendrier aux réalités de ce que vivent les habitants », reconnaît aussi Philippe Tabarot, sénateur LR qui vient de réaliser un rapport sur le sujet et qui demande à reporter l’interdiction des Crit’air 3 à 2030.

Des aides jugées insuffisantes

Au-delà du développement trop lent des transports en commun, les opposants aux ZFE pointent le coût très élevé des véhicules propres. Face à cela, l’État a mis en place plusieurs aides comme le bonus écologique ou la prime à la conversion. Il veut aussi développer le « retrofit » (remplacer un moteur thermique par un moteur électrique) pour rénover toute une partie du parc. Enfin, Emmanuel Macron a promis une offre de location de voiture électrique à 100 € par mois ou le prêt à taux zéro.

« Les aides existent mais nous devons rendre cela plus simple à comprendre pour qu’un maximum de citoyens puisse en bénéficier », estime Barbara Pompili. À son échelle, l’Eurométropole de Strasbourg veut mettre en place un conseil pour chaque particulier ou entreprise. Elle prévoit également des aides complémentaires à celles de l’État, notamment pour les plus pauvres et les classes moyennes, mais appelle aussi à ne pas oublier les habitants qui vivent hors des métropoles.

« Je préconise que les aides soient mieux réparties pour viser d’abord ceux qui en ont le plus besoin et ceux qui sont le plus loin des ZFE », propose de son côté Philippe Tabarot. Le sénateur LR suggère aussi de revoir la classification des véhicules et d’individualiser les interdictions grâce à un contrôle technique renforcé. « On pourrait autoriser certains véhicules à rouler, s’ils respectent un certain nombre de normes environnementales », avance-t-il.

Aujourd’hui, le dispositif des ZFE s’appuie sur le système Crit’air qui classe les véhicules en fonction de leur carburant et de leur ancienneté. « Il faut le revoir parce qu’il ne prend pas en compte la question du poids. Avec le système actuel, un SUV récent est favorisé par rapport à une vieille citadine. Il faut de l’équité », réclame Gérard Leseul. « Pourquoi pas faire évoluer le système même si les vignettes ont le bénéfice de la clarté », répond Barbara Pompili.

Le risque de réveiller les Gilets jaunes

Car tout l’enjeu est là : faire des ZFE une mesure compréhensible et acceptable. « La voiture est une boussole sociale, il ne faut pas être malin pour croire qu’on peut se permettre d’interdire aux Français de rouler et que tout se passe bien », met en garde Pierre Chasseray, de 40 millions d’automobilistes.

Signe que ce thème est un sujet sensible, la consultation en ligne lancée par le Sénat a reçu plus de 50 000 réponses, un record. Selon ses résultats, 86 % des particuliers et 79 % des professionnels se disent défavorables aux ZFE. Des chiffres à prendre avec précaution puisque les répondants ne sont pas forcément représentatifs.

Quoi qu’il en soit, le spectre du mouvement de type Gilets jaunes est dans l’esprit de tous. « Ça sera encore pire. Là, vous êtes en train d’empêcher les gens d’aller au boulot », lance encore Pierre Chasseray. Son association va d’ailleurs déposer plusieurs recours contre le dispositif.

« On laisse les gens mourir ? »

Un discours qui trouve écho au sein du Rassemblement national. « Les ZFE c’est interdire aux honnêtes gens de rentrer dans les centres-villes avec leur vieille bagnole alors qu’ils ont été repoussés des grandes villes à cause du prix de l’immobilier », tacle notamment le député RN Pierre Meurin.

Les ZFE « laissent le sentiment de métropoles qui vont se fermer à ceux qui viennent de l’extérieur. Et ce, alors qu’elles bénéficient déjà d’une richesse importante qui ne ruisselle pas forcément sur les territoires ruraux », estime aussi Antoine Vermorel-Marques, député LR.

« Je dénonce ces discours qui politisent à outrance cette question », répond Barbara Pompili. La députée Renaissance rappelle que les premières victimes de la pollution de l’air sont les plus modestes. « Qu’est-ce qu’on fait ? On laisse les gens mourir ? », questionne-t-elle.

Bientôt des contrôles automatisés ?

Selon Antoine Vermorel-Marques, si la contestation n’existe pas pour l’instant c’est que les ZFE sont peu ou pas contrôlées. « Mais si vous vous mettez à verbaliser, les gens vont vraiment se rendre compte de ce que sont les ZFE et vous aurez un mouvement social », dit-il encore.

Actuellement, seulement cinq métropoles (Paris, Aix-Marseille, Lyon, Strasbourg et Rouen) procèdent à des contrôles mais ceux-ci restent encore très réduits. D’ici la fin de l’année 2024, le gouvernement a promis aux métropoles l’installation d’un système de « contrôle sanction automatisé ». Signe de la sensibilité du sujet, Philippe Tabarot note que « les métropoles et l’État se renvoient la patate chaude. Personne ne veut prendre cette responsabilité ».

« Cette question est importante pour que les gens qui ont changé de voiture n’aient pas l’impression de se sentir lésés », réagit Barbara Pompili qui prône avant tout « une période de pédagogie ». La députée Renaissance, qui doit rendre son rapport à la rentrée, se veut malgré tout optimiste. « Ce dispositif existe dans de très nombreuses villes en Europe et il a été très bien accepté », dit-elle en citant notamment l’exemple de Bruxelles. « Je ne vois pas pourquoi, en France, on serait plus bête que les autres. »

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