Les éditions Fayard retire le livre d'Ilan Pappe de leur catalogue. On se demande bien pourquoi ?
Il faut d'abord rappeler que le "nettoyage ethnique" est bel et bien considéré comme un crime contre l'humanité réprimé par le droit international. Il consiste en l'expulsion par la force visant à homogénéiser la population ethniquement mixte d’une région ou d’un territoire.Le nettoyage ethnique transforme la population expulsée en réfugiés, en détruisant maisons, villages et quartiers. Il s'accompagne de massacres, même sans volonté génocidaire. Selon Ilan Pappé, poursuivre la lutte contre la négation de ce crime est un impératif moral crucial.
Intimidation massive, siège et pilonnage des villages et quartiers, incendie des maisons, des biens, des marchandises, expulsion, démolition, pose de mines dans les décombres pour empêcher les expulsés de revenir: ces ordres ont été donnés lors d'un plan d'expulsion systématique.
Quand tout a été fini, près de 800 000 personnes – plus de la moitié de la population autochtone de Palestine – avaient été déracinées, 531 villages détruits, 11 quartiers vidés de leurs habitants. Or Cet événement a été systématiquement nié. Cela redouble l'immense traumatisme.
A noter qu'il en fut de même pour les juifs résidents de Palestine qui ont dû eux aussi être déplacés. Mais pas dans des conditions similaires que celles avec lesquelles les palestiniens ont été déplacés.
Pour les Palestiniens, la frustration la plus profonde a été de voir le comportement criminel si radicalement nié et la souffrance palestinienne si totalement ignorée. Et ce alors que les auteurs de nettoyage ethnique sont normalement traduits devant des tribunaux spéciaux.
Poursuivant notamment le travail de l'historien palestinien Walid Khalidi et son ouvrage All That Remains, véritable almanach des villages détruits, Ilan Pappé explore le mécanisme du nettoyage ethnique de 1948 ET "le système cognitif qui a permis au monde d’oublier".
Selon Pappé, quand il a créé son État-nation le mouvement sioniste n’a pas fait une guerre dont la conséquence "tragique mais inévitable" a été l’expulsion. C’est le contraire: l’objectif était le nettoyage ethnique de la Palestine que le mouvement convoitait pour son nouvel État.
Quelques semaines après le début de ce nettoyage, les États arabes voisins ont envoyé une petite armée pour essayer, en vain, de l’empêcher. La guerre avec les armées régulières arabes n’a pas interrompu les opérations de nettoyage ethnique, achevées à l’automne 1948.
"J’accuse mais j’appartiens aussi à la société qui est condamnée dans ce livre. Je me sens à la fois responsable et élément de cette histoire. Ce douloureux voyage dans le passé est le seul chemin pour avancer vers un avenir meilleur pour nous tous, Palestiniens et Israéliens."
Pappé rappelle quel groupe précis a forgé le plan, donné les ordres: les "héros de la guerre d’Indépendance d’Israël". À commencer par le chef incontestable du mouvement sioniste David Ben Gourion: c’est à son domicile qu’ont été finalisés tous les chapitres du nettoyage ethnique
Ce groupe ayant préparé le nettoyage ethnique et supervisé son exécution comprenait les plus hauts gradés, "comme les légendaires Yigaël Yadin et Moshe Dayan". Aidés par des commandants régionaux: Yitzhak Rabin a opéré à Lydda, à Ramla et dans la région du grand Jérusalem.
Il y eut aussi les officiers du renseignement. Dans les souvenirs des survivants palestiniens ce sont eux qui, après l’occupation d’un village ou d’un quartier, décidaient du sort de ses habitants, et faisaient la différence entre la prison et la liberté, entre la vie et la mort.
En 1917 le penseur "libéral" du sionisme Leo Motzkin évoquait "la colonisation de la Palestine": "installation des Juifs en Eretz Israël, réinstallation des Arabes en dehors. Le transfert de tant d’Arabes peut paraître à 1ère vue économiquement inacceptable. Mais c’est faisable."
Jusqu’à l’occupation britannique de la Palestine à partir de 1918, le sionisme a été un mélange d’idéologie nationaliste et de pratique colonialiste. Son rayon d’action était limité : à cette époque, les sionistes ne représentaient pas plus de 5% de la population totale du pays.
Après la Déclaration Balfour (1917), les Britanniques ont entrepris de diviser la Palestine en deux entités. En 1936, la révolte palestinienne contre ce plan fut implacablement réprimée par l'armée britannique: beaucoup de villageois furent arrêtés, blessés ou tués.
Parmi les grandes figures du sionisme, Y. Weitz écrivait en 1940: "C’est notre droit de transférer les Arabes". "Les Arabes devront s’en aller" écrivait Ben Gourion. Le fondateur de l’État d’Israël a aussi été selon Pappé "la tête pensante du nettoyage ethnique de la Palestine".
Après la guerre et avec la prise de conscience du génocide des juifs d'Europe perpétré par les nazis et leurs complices, la Grande-Bretagne décida en février 1947 de se retirer de Palestine où beaucoup de Juifs persécutés s'étaient réfugiés. Elle transféra la question à l’ONU.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire