Malgré les gesticulations franco-européennes, la dédollarisation se précise
En ce lundi des fêtes de Pâques (que je vous souhaite bonnes), tout le monde n’a pas forcément le cœur joyeux, à commencer sans doute par l’actuel chef de l’Exécutif français qui est rentré de Chine où il est quasi-officiellement passé pour une carpette.
Certains (chafouins) pourraient y trouver un motif de réjouissance, tant le locataire de l’Élysée est trop souvent bouffi d’une importance qu’il est bien trop généreux à s’accorder lui-même ; ce rappel de la réalité pourrait être salutaire à mesure que la popularité du chef de l’État continue de rétrécir comme un pull mohair lavé à 90°.
Néanmoins, chacun appréciera comme il l’entend la façon dont il fut accueilli dans l’Empire du Milieu, mais aucun ne pourra dire, en toute bonne foi, que ce fut en grandes pompes chaleureuses. Ce fut froid, peu solennel, et de nombreuses images – sans surprise assez peu circulées par les médias français – ont assez clairement envoyé le message peu ambigu que le président français n’était pas le bienvenu en Chine, à tel point que même la presse de révérence est forcée d’admettre un échec diplomatique.
Ce fut un échec diplomatique pour la France doublé d’un échec diplomatique pour l’Europe, Macron ayant jugé bon d’être accompagné par la présidente de la Commission européenne. Tentant encore une fois d’avancer la thèse ridicule d’une unité européenne sur la scène internationale, Macron a donc paradé avec Von der Leyen qui est apparue comme une poule avec un couteau au milieu des deux dirigeants (et qui a du reste subi un traitement diplomatique a minima).
Il faut se rendre à l’évidence : ces derniers mois, la Chine n’a plus du tout le même regard vis-à-vis de l’Europe et de la France que ce qu’elle pouvait avoir il y a encore un ou deux ans. Les gesticulations de Macron et de Von der Leyen ne masquent plus du tout le divorce maintenant acté du bloc des BRICS du bloc “occidental” composé essentiellement des États-Unis, du Royaume-Uni et de son Commonwealth, de l’Europe et dans une certaine mesure du Japon, en notant que ce dernier semble d’ailleurs s’en éloigner progressivement, les sanctions contre la Russie devenant impossibles à maintenir pour l’archipel asiatique.
Ce divorce n’est évidemment pas sans lien avec le découplage de l’économie mondiale du dollar : comme un récent billet en faisait la remarque, un nombre croissant de pays montre des velléités de se passer complètement du dollar dans les transactions internationales.
Cette tendance va s’accélérant. Ce qui était encore peu sûr voire improbable il y a six mois devient maintenant une réalité, et les certitudes d’hier semblent s’éroder de plus en plus vite.
Ainsi, les membres de l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) envisagent ouvertement de laisser tomber la monnaie américaine, l’euro et le yen ainsi que se débarrasser progressivement de Visa et de Mastercard.
Ceci est tout sauf anodin : cette alliance politico-économique regroupe actuellement les Philippines, l’Indonésie, la Malaisie, Singapour, la Thaïlande, le Brunei, le Viêtnam, le Laos, Myanmar et le Cambodge, ce qui représente 677 millions d’habitants. Si l’on y ajoute les mêmes tendances affichées au sein des BRICS, c’est plus de deux milliards de personnes et des économies en plein développement qui expliquent vouloir se passer complètement du dollar sur un horizon de plus en plus court (on ne parle plus en décennies ni en années, mais en mois).
Ainsi, l’Arabie Saoudite rejoint l’Organisation de la Coopération de Shanghai (OCS) (qui regroupait déjà la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan, l’Inde et le Pakistan) et qui permet une coopération non seulement sur le plan économique et politique, mais aussi culturel et surtout militaire.
En Asie, il a été difficile de passer à côté de cette transaction de Total-Energies, qui a livré à la Chine du gaz de pétrole liquéfié, le tout payé en yuans, au travers de la plateforme Shanghai Petroleum and Natural Gas Exchange (SHPGX) spécialement conçue pour cela. Pour rappel, traditionnellement, ce genre d’échanges avait lieu en dollars américains.
Pendant ce temps, l’Inde et la Russie ont très officiellement convenu de ne plus utiliser l’indice pétrolier européen Brent et de le remplacer par l’indice de Dubaï. Peut-être est-ce dû au fait que les ventes de pétrole russe à l’Inde ont augmenté de 22 fois l’année dernière, l’Inde en profitant d’ailleurs pour revendre une grosse partie de ces hydrocarbures aux pays occidentaux qui trouvent ici un moyen de contourner leurs propres sanctions contre la Russie (avec un coût reporté sur leurs consommateurs au passage).
Quant au Brésil, il a lui aussi annoncé renoncer au dollar pour ses transactions avec la Chine.
Chacun de ces éléments, pris séparément, n’est qu’une occurrence probablement pas décisive sur le cours des choses mais qui ensemble, et par leur caractère relativement groupé dans le temps, brossent une tendance claire : l’économie mondiale cherche de plus en plus clairement à se “dédollariser”. Ce n’est du reste pas sans rapport non plus avec le gain manifeste de puissance des BRICS dont le PIB groupé dépasse maintenant celui du G7.
Il faut être quelque peu isolé dans sa tour d’ivoire, ou protégé dans un Élysée bien chauffé, pour ne pas voir qu’une véritable guerre économique est en cours entre les pays occidentaux d’un côté et le reste du monde de l’autre qui n’entend plus suivre aveuglément les propositions de l’Oncle Sam. C’est peut-être pour cela que, jouant sans doute de leur position privilégiée, plusieurs pays producteurs de pétrole ont décidé de baisser leur production (d’environ un million de barils par jour au total) ce qui a naturellement entraîné une hausse marquée du prix du baril.
Avec cette hausse du baril, la lutte contre l’inflation pourrait être encore plus compliquée que prévue, tant en Europe qu’aux États-Unis.
Outre une Fed en bien mauvaise posture (elle perd de l’argent pour la première fois dans son histoire), les signes s’accumulent donc qui montrent que le dollar américain n’est non seulement plus en position de force sur le marché des monnaies mais qu’il perd du crédit de jour en jour, à tel point que même le Financial Times commence à convenir de cette nouvelle situation.
Le Roi Dollar est-il nu ?
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