Les écolos, eux aussi, comprennent ce que veut dire cette loi qui va permettre de donner des outils de surveillance et de fichage.
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Le projet de loi Justice, examiné à l’Assemblée le 3 juillet, risque de légaliser plusieurs techniques de surveillance électronique qui pourraient viser des militants écologistes.
Géolocalisation, caméras et microphones activés par la police, à distance et en toute discrétion. Le contenu de l’article 3 du projet de loi Justice inquiète aussi bien les associations de défense des libertés que les militants.
Dans ce texte déjà validé le 8 juin par le Sénat, deux dispositions autorisent le renforcement des moyens de surveillance de la police judiciaire. D’abord, la possibilité pour le procureur ou le juge d’instruction de demander « l’activation à distance d’un appareil électronique, à l’insu ou sans le consentement de son propriétaire ou de son possesseur, aux seules fins de procéder à sa localisation en temps réel ».
Ensuite, l’autorisation d’activer à distance le microphone ou la caméra d’un appareil électronique pour enregistrer images et sons, toujours après validation par le juge des libertés et de la détention.
Écolos ciblés
Afin de justifier ces mesures, le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti, dépositaire de ce texte, insiste sur les garanties qui l’encadrent. La géolocalisation serait par exemple limitée aux enquêtes visant « un crime ou un délit puni d’au moins dix ans d’emprisonnement ».
Ces dispositifs pourraient aussi servir à la surveillance des militants écologistes. Depuis une circulaire de 2016, les « attroupements » tels que les manifestations ou rassemblements en infraction peuvent ainsi être qualifiés de « délits d’associations de malfaiteurs », et sont régulièrement appliqués aux militants écologistes, comme sur la zad de Notre-Dame-des-Landes.
« Une fois qu’une mesure est autorisée, des lois successives viennent élargir son périmètre »
« L’expérience nous montre qu’une fois qu’une mesure est autorisée, des lois successives viennent ensuite élargir son périmètre », réagit Noémie Levain, juriste pour La Quadrature du net. Avec cette association de défense des libertés numériques, elle craint que l’application de l’article de loi ne soit étendue à plusieurs autres infractions, avec l’adoption de lois successives sur les prochaines années.
Une inquiétude partagée par l’Observatoire des libertés et du numérique (OLN), un collectif d’associations auquel adhèrent la Quadrature du net, ainsi que le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature et la Ligue des droits de l’Homme. Le collectif a diffusé un appel aux parlementaires dans l’objectif « [d’]œuvrer pour la suppression de ces dispositions de ce projet de loi et [de] faire rempart contre cette dérive sécuritaire ».
Une coalition de militants écologistes a lancé un blocage de l’Assemblée générale de TotalÉnergies, le 26 mai 2023. © NnoMan Cadoret / Reporterre
Des vies passées au crible
Parmi les risques d’application de la loi, Noémie Levain souligne la qualification de « bande organisée », qui pourrait permettre l’usage de ces dispositifs sur des groupements de militants. « Le concept d’infraction en bande organisée peut être utilisé pour la répression de militants écologistes. Ça a déjà été vu », dit la juriste.
Un sentiment de déjà vu partagé par Joël. Engagé dans diverses luttes sociales, migratoires et environnementales depuis 2008, ce militant écologiste fait partie du groupe antinucléaire opposé au projet Cigéo, qui est l’objet d’une forte répression policière à Bure (Meuse), depuis une action menée en 2017.
Comme pour l’ensemble des militants du mouvement, sa vie a été passée au crible par les forces de l’État pendant plusieurs mois. Micros, balises GPS, caméras… Le dispositif mis en place pour collecter des informations sur le collectif écologiste était colossal.
« Une surveillance dingue »
Du « jamais vu, une surveillance dingue », dit Muriel Rueff, avocate d’un des militants actuellement en procès. Même le procureur de l’enquête, Olivier Glady, admettait en 2018 dans les colonnes de Libération l’ampleur inédite des moyens employés.
L’affaire montre aussi que ces dispositifs de surveillance sont déjà utilisés par les renseignements, bien que ceux-ci ne s’inscrivent dans aucun projet de loi. Leur validation par la justice a posteriori est une pratique courante dans le domaine de la surveillance.
« La loi renseignement de 2015 visait déjà à mettre un cadre sur des choses qui existaient, et qui auparavant étaient appliquées bien qu’illégales », rappelle Noémie Levain, qui mentionne notamment le cas des drones utilisés pour la surveillance aérienne avant même leur validation par la loi Sécurité globale en 2020.
Pour Joël, ce projet de loi constitue l’aboutissement d’une dérive sécuritaire en place depuis plus de quinze ans. Depuis qu’il a commencé à lutter en 2008, il n’a cessé d’observer le durcissement de l’arsenal policier et judiciaire.
« J’ai l’impression que c’est allé en gradation continuelle, que ce soit sur le maintien de l’ordre avec une évolution de la doctrine, et en parallèle avec une accentuation des moyens de surveillance », soupire-t-il. Il pointe du doigt la criminalisation des militants, mais aussi « l’installation d’un délit d’intention ». « On poursuit moins des faits que des groupements d’individus ».
Sa remarque est nourrie par les actualités de ces derniers mois. En mars, Le Canard enchaîné mentionnait les écoutes illégales d’élus écologistes en vue du rassemblement à Sainte-Soline (Deux-Sèvres). Début juin, la Lettre A révélait le conflit entre les services de Matignon et la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et du Renseignement territorial, réclamant la mise sur écoute de plus d’activistes écologistes.
Des militantes ont porté plainte contre les forces de police pour les violences « disproportionnées » subies lors du blocage de l’AG de TotalÉnergies, le 26 mai 2023. © NnoMan Cadoret / Reporterre
Extension du fichage
Au sein des associations comme La Quadrature du net qui scrutent l’évolution de la loi, le durcissement des mesures de surveillance est au cœur d’une vigilance constante depuis plusieurs années. Noémie Levain se souvient de l’extension du fichage des services de renseignement à la possibilité de collecter des données hyper sensibles, comme les opinions politiques, l’état de santé, établi par décret en 2020 (les fichiers Pasp et Gipasp). L’extension des cas de la collecte de l’ADN par exemple, requis dès la première garde à vue, n’est là aussi qu’un exemple parmi d’autres.
Au-delà de l’accroissement des dispositifs de surveillance, c’est aussi l’usage du numérique qui inquiète la Quadrature du net. « Le principe même de transformer des objets connectés en mouchards à l’insu des personnes est problématique », déplore Noémie Levain. Le projet de loi s’appuie sur un aspect technique : l’exploitation de failles de sécurité dans le système des appareils connectés, pour y installer des logiciels espions.
Un fonctionnement similaire aux techniques d’espionnage utilisées dans le Renseignement, mais aussi employées par les hackeurs. Le détournement d’usage d’un objet privé à des fins d’espionnage pose une question éthique pour l’association, tout comme l’atteinte à la vie privée qu’il génère.
Une atteinte « disproportionnée et dangereuse »
« Dans une enquête pénale, on autorise la police à faire des choses qui atteignent le droit pour les besoins de l’enquête. Mais ça doit rester proportionnel aux besoins de l’enquête. Or dans ce projet de loi, cette atteinte à la vie privée est disproportionnée et dangereuse », estime la juriste.
Sur la protection des données sensibles, le projet de loi déposé par le gouvernement prévoyait déjà d’interdire la surveillance de certaines professions : magistrats, avocats et parlementaires. Un amendement adopté au Sénat interdit également la captation de sons ou d’images pour les journalistes, médecins, notaires et huissiers.
Une garantie suffisante ? « Des bouts de ficelles », selon Noémie Levain qui observe que « le micro ne va pas s’arrêter de lui-même quand on passe la porte d’un avocat ».
La disposition, si elle ne peut empêcher concrètement l’écoute de ces conversations, promet la suppression des enregistrements et leur non-exploitation. Là encore, l’atteinte aux droits fondamentaux pèche pour la juriste, et la balance entre intérêt général et atteinte aux droits reste inégale. « Le droit ne suffit pas à protéger, parce que la volonté politique ne suit pas. »
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