vendredi 22 novembre 2024
TRAITRE
Proche du pouvoir et des agriculteurs : le double jeu de la FNSEA
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En appelant au retour des manifestations, la FNSEA, syndicat majoritaire et productiviste, se montre proche des agriculteurs. Tout en gardant ses liens étroits avec le pouvoir.
« Agri, acte 2. On est de retour. JA-FDSEA ». Le grand panneau noir, accroché sur un tracteur sur le rond-point de la Paix au Cannet-des-Maures (Var), le 18 novembre, offrait un bon résumé de la situation. Selon les autorités, 6 836 agriculteurs avec 1 898 engins agricoles étaient mobilisés ce jour-là, à l’appel de la FNSEA, le syndicat majoritaire et productiviste, et des Jeunes agriculteurs (JA).
« Cela fait longtemps que nous n’avons pas vu autant d’attentes et de chaleur sur le terrain. On voit bien que le gouvernement Barnier ne va pas assez vite et assez loin », a observé le président des Jeunes agriculteurs, Pierrick Horel. Le mouvement va se poursuivre « jusque mi-décembre », a prévenu le président du syndicat majoritaire. Avec trois revendications : l’abandon du projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne (UE) et les pays du Mercosur, la cessation des contraintes environnementales, et les prix et revenus agricoles.
Il peut sembler étonnant que la FNSEA relance des manifestations et porte un message de fermeté, au regard des concessions déjà obtenues. Mis sous pression par les mobilisations de l’hiver dernier, le gouvernement de Gabriel Attal s’était engagé sur 70 mesures de soutien à l’agriculture productiviste, intensive et mécanisée tournée vers l’export, correspondant aux principales revendications du syndicat majoritaire. Nombre d’entre elles ont d’ailleurs été reprises dans le projet de loi Entreprendre en agriculture, présenté fin août par la FNSEA et les JA.
Beaucoup ont également déjà été mises en œuvre. Le projet de hausse du gazole non routier agricole a été abandonné. Le plan Écophyto visant à réduire l’utilisation des pesticides a été doté d’un nouvel indicateur moins ambitieux. Un fonds hydraulique doté de 20 millions d’euros a été créé, assorti d’un premier appel à projets pour la création de retenues d’eau pour l’irrigation et d’un arrêté facilitant leur implantation en zone humide. Un décret assouplit les règles d’évaluation environnementale pour les élevages intensifs de volailles, de porcs et de truies.
D’après le ministère de l’Agriculture, 67 % de ces mesures avaient déjà été mises en œuvre au 13 septembre dernier. C’est d’ailleurs le rythme de mise en œuvre que dénonce la FNSEA, bien plus que les mesures concédées. « 65 % des mesures annoncées ne sont toujours pas arrivées dans les cours de fermes », déplorait le syndicat dans un communiqué du 17 novembre.
Liens étroits avec l’État
La FNSEA, créée en 1946, est devenue rapidement cogestionnaire de l’agriculture française. Les lois de modernisation de 1960 et 1962 « ont été coélaborées entre les pouvoirs publics et le syndicalisme », expliquait au Monde Véronique Lucas, sociologue rurale à l’Institut de recherches pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae).
Aujourd’hui encore, la FNSEA est présente dans de nombreux organismes parapublics, contrôle la quasi-totalité des chambres d’agriculture et une grande partie de la presse professionnelle. Certains de ses cadres ont des liens extrêmement étroits avec les plus hautes sphères du pouvoir, comme l’a révélé le média d’investigation Splann ! en mai dernier. Exemple emblématique de ce mélange des genres, le suppléant de la ministre de l’Agriculture Annie Genevard, Éric Liégeon, qui l’a remplacée à l’Assemblée nationale, a été secrétaire général et vice-président de la FDSEA du Doubs.
D’où cette position paradoxale — concertation avec le pouvoir d’une part, soutien et encouragement aux mobilisations de terrain d’autre part. Le syndicat tient cette ligne de crête « depuis la fin des années 1950 », explique l’historien spécialiste de l’agriculture Anthony Hamon. « La direction centrale parisienne a toujours été opposée aux manifestations et au folklore associé — blocages routiers, dégradations, etc. Mais elle est hantée par le risque de séparatisme syndical, si elle ne suivait pas les fédérations départementales et le terrain », explique-t-il. Il s’agit donc de garder sa position d’interlocuteur privilégié du pouvoir, tout en ne perdant pas le lien avec le terrain pour éviter de se laisser déborder par la base.
L’exercice se révèle toutefois de plus en plus complexe. La FNSEA revendique 212 000 adhérents et 31 fédérations de producteurs. Mais son hégémonie s’érode. Lors des élections des chambres d’agriculture de 2019, marquées par un niveau d’abstention record de 54 %, il lui a fallu s’associer aux Jeunes agriculteurs pour atteindre 55 % des suffrages exprimés. « C’est que les mesures productivistes qu’elle porte ne profitent qu’à une minorité d’agriculteurs, analyse Anthony Hamon. La majorité, moins riche, moins avantagée, qui n’est pas présente dans les instances de décision des coopératives, ne voit pas la couleur des aides publiques obtenues. »
Le président de la FNSEA depuis 2023, Arnaud Rousseau, a de fait un profil hors norme, pas tellement représentatif de la plupart des agriculteurs : chef d’une exploitation céréalière de plus de 700 hectares, il préside le conseil d’administration du groupe agro-industriel Avril.
Les prochaines élections pour les chambres d’agriculture, le 31 janvier prochain, seront décisives pour le syndicat majoritaire, menacé par la montée de la Coordination rurale. « D’où la surenchère démagogique de la part de la FNSEA », explique Anthony Hamon.
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