jeudi 21 août 2025

VERROUILLÉ

  SUPPRIMER L’ARCOM ? IMPOSSIBLE : CONSTITUTION, UE, NOMINATIONS — TOUT EST VERROUILLÉ ! 



La Constitution impose un arbitre indépendant, l’UE exige un régulateur, et les institutions de la Ve République tiennent les clés des nominations de tous les membres de l'ARCOM ! 

 Comment en est-on arrivé à l’ARCOM ?


La régulation française de l’audiovisuel ne s’est pas construite en un jour. Après une première phase (HACA 1982, puis CNCL 1986), la loi du 17 janvier 1989 a installé le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) comme régulateur indépendant, en remplacement de la CNCL. Cette réforme a durablement structuré l’arbitrage des fréquences, des obligations et du pluralisme dans l’espace hertzien.


Trois décennies plus tard, l’irruption des usages en ligne a conduit le législateur à fusionner le CSA et la Hadopi pour créer l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM). La loi n° 2021-1382 du 25 octobre 2021 l’a formellement instituée et lui a confié, au 1er janvier 2022, la totalité des missions des deux autorités (audiovisuel, anti-piratage, protection des publics, conventions, sanctions).


Depuis 2024, le cadre européen a encore renforcé et élargi ce rôle. D’un côté, la directive « services de médias audiovisuels » (SMA/AVMS) impose à chaque État de disposer d’autorités de régulation indépendantes, dotées de garanties d’impartialité et de moyens adaptés. Par « indépendantes », comprenez ici : une autorité « hors de portée des électeurs et qui échappe à toute forme de volonté générale ».


De l’autre, le DSA (Digital Services Act) exige qu’un coordinateur national pilote l’application du règlement ; en France, la loi du 21 mai 2024 dite SREN a confié cette coordination à l’ARCOM (en articulation avec la DGCCRF et la CNIL). Enfin, le European Media Freedom Act (EMFA), entré en vigueur le 7 mai 2024, complète ce dispositif en élevant les standards d’indépendance et de coopération des régulateurs, avec application pleine au 8 août 2025.


À l’échelle nationale, l’Autorité s’est aussi territorialement outillée : le décret n° 2024-425 du 10 mai 2024 a refondu les anciens comités techniques (ex-CTA) pour mieux instruire, localement, les dossiers radios/TV et les actions d’éducation aux médias.

Un organe verrouillé par l’entre-soi et la Constitution


Le verrou est d’abord constitutionnel. L’article 34 de la Constitution fixe à la loi le soin de garantir la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias. Autrement dit, quelle que soit l’architecture choisie, il faut un arbitre indépendant capable d’assurer ces garanties ; faire disparaître le régulateur sans solution équivalente exposerait une réforme à une censure constitutionnelle.


Le verrou est ensuite européen. L’article 30 de la directive SMA/AVMS impose l’existence d’autorités nationales indépendantes pour l’audiovisuel et encadre leurs garanties d’indépendance, de transparence et de moyens. Le DSA rend obligatoire la désignation d’un Digital Services Coordinator ; en France, c’est l’ARCOM depuis la loi SREN de 2024. Supprimer l’ARCOM impliquerait donc, au minimum, de redésigner un coordinateur et de réécrire l’architecture d’application, sous le contrôle de la Commission. L’EMFA, enfin, rehausse les exigences d’indépendance et de coopération des régulateurs à l’échelle de l’Union.


Le verrou est aussi institutionnel. L’Arcom et le Conseil constitutionnel sont alimentés par les mêmes “portes de nomination”. À l’Arcom : un collège de neuf membres, dont le président nommé par le Président de la République, trois membres désignés par le président de l’Assemblée nationale, trois par le président du Sénat, un par le vice-président du Conseil d’État, un par la première présidente de la Cour de cassation. Au Conseil constitutionnel : neuf membres, trois nommés par le Président de la République, trois par le président de l’Assemblée, trois par le président du Sénat (art. 56). Autrement dit, les mêmes têtes institutionnelles tiennent les clés des deux maisons ; on change rarement de “circuit” en changeant juste le nom du régulateur.


Exemples très concrets (2023–2025) : au Sénat, Gérard Larcher a proposé Catherine Jentile de Canecaude (décret du 19 février 2025) et, auparavant, Antoine Boilley ; il est aussi l’autorité qui a nommé Philippe Bas au Conseil constitutionnel en 2025. À l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet a désigné Bénédicte Lesage (2023) puis Romain Laleix (2025) à l’Arcom, et a nommé Laurence Vichnievsky au Conseil constitutionnel en 2025. Côté Élysée, le Président de la République a nommé Martin Ajdari président de l’Arcom (décret du 18 janvier 2025) et dispose, par l’article 56, de trois sièges au Conseil constitutionnel. Même acteurs, deux organes : c’est le verrou.


Conséquence politique et juridique : abolir l’Arcom pour “reprendre la main” ne dissout pas ce réseau de nominations ; il recrée le même schéma au profit des mêmes autorités (PR, AN, Sénat), qui resteront les passages obligés pour choisir les personnes… et qui, au Conseil constitutionnel, contrôlent ensuite la loi au regard des principes de liberté, pluralisme et indépendance des médias. En clair : on peut rebaptiser ou recomposer, mais le cœur du pouvoir de nomination demeure verrouillé par les mêmes mains.


Enfin, le verrou est opérationnel. Le droit positif renvoie, par centaines, à l’ARCOM : autorisations et conventions des éditeurs, règles de pluralisme et de protection des mineurs, anti-piratage, procédures de sanctions, comités techniques territoriaux, etc. Débrancher l’Autorité sans filet provoquerait un vide juridique immédiat. Tout a été finement pensé…

La suppression de l’ARCOM est de fait (quasi) impossible

Une suppression « pure et simple » est illusoire : le cadre constitutionnel et européen impose donc un régulateur indépendant et un coordinateur DSA. En pratique, l’option réaliste est une recomposition : abroger et réécrire, transférer et redésigner. Le Conseil constitutionnel censurerait toute tentative de suppression de l’ARCOM ou de le réformer en profondeur…

Juridiquement, il faut d’abord une loi-cadre. Elle devrait abroger les dispositions de 2021 qui ont créé l’ARCOM, réécrire les pans pertinents de la loi de 1986 et redistribuer chaque compétence : fréquences et autorisations (vers ARCEP/ANFR ?), pluralisme et protection des mineurs (vers une nouvelle autorité ?), anti-piratage (vers un service dédié ?), coordination DSA (vers DGCCRF/CNIL ou un nouvel organisme).

Sans organe indépendant de remplacement, le texte heurterait l’article 34 de la Constitution et l’article 30 de la directive SMA.

La loi doit ensuite prévoir un régime transitoire : sort des mandats du collège (fin anticipée assortie de garanties ; transfert), continuité des procédures (mises en demeure, sanctions, contentieux), transfert des autorisations et conventions, et réaffectation des personnels et des budgets. Les décrets d’organisation (y compris ceux relatifs aux comités techniques territoriaux) doivent être réécrits.

Côté européen, la France devra notifier ses nouvelles autorités au titre de la SMA/EMFA et redésigner formellement le coordinateur DSA, en adaptant la loi SREN et l’ensemble des circuits de coopération. À défaut, une procédure d’infraction est envisageable.

En clair : « supprimer » l’ARCOM revient à reconstruire une ARCOM bis sous un autre nom. La France l’a déjà fait par le passé : en 1989, la CNCL a cédé la place au CSA ; en 2021, le CSA et la Hadopi ont fusionné en ARCOM. L’histoire de la régulation est faite de recompositions, pas de vides.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire