Ce que l’accord UE-Mercosur va mettre dans nos assiettes
L’accord de libre-échange UE-Mercosur a été finalisé le 6 décembre. Il permettra d’importer plus de viande aux hormones et antibiotiques, ou encore le retour dans l’UE de pesticides interdits.
Main dans la main, grands sourires. La photo immortalise la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et les présidents du Brésil, d’Uruguay, d’Argentine et du Paraguay. Tous se sont félicités, le 6 décembre dernier, de la conclusion des négociations de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur, alliance des pays d’Amérique latine.
S’il reste plusieurs étapes avant la signature définitive du texte controversé, sa mise en œuvre se rapproche à grands pas. Quelles conséquences pourrait-il avoir dans nos assiettes ? Reporterre fait le point.
• Davantage de bœuf et de poulet importés
L’accord consiste à abaisser, voire supprimer les droits de douane sur un certain nombre de produits. Sur la viande bovine, 99 000 tonnes pourront être importées avec un droit réduit à 7,5 %, auxquels s’ajoute un quota de 45 000 tonnes sur lesquelles aucun droit de douane ne s’appliquera. Soit autant de viande qui pourra entrer dans l’Union européenne « à des prix plus bas », explique Marine Colli, consultante indépendante spécialiste de l’accord.
La Commission européenne a calculé que cela ne ferait diminuer que de 0,7 à 1,2 % la production européenne de viande bovine. Mais « ces ratios n’ont pas beaucoup de sens, ce ne sont pas des carcasses entières qui sont envoyées en Europe, mais de l’aloyau — rumsteak, filet, faux-filet », rappelle l’experte. La concurrence se jouerait donc sur ce segment de marché où les prix sont élevés, et pour laquelle la production européenne s’élève à « 400 000 tonnes », estime-t-elle. Le quota total de 144 000 tonnes de viande bovine prévu par l’accord correspond donc plutôt à 36 % de la production européenne d’aloyau. Un chiffre conséquent, qui augmente d’autant la concurrence à bas prix avec les producteurs européens, et le risque de retrouver cette viande dans nos assiettes.
Pour l’instant, en France, la viande bovine du Mercosur reste rare. « On la retrouve principalement dans le segment de la restauration commerciale, indique Marine Colli. Les restaurateurs ont l’obligation, en théorie, d’afficher l’origine de la viande, mais c’est assez mal respecté. »
Côté volailles, le scénario est similaire : beaucoup de filets, la partie la plus chère, sont importés. 180 000 tonnes auraient droit à des droits de douane réduits ou supprimés. Cette viande se retrouve « plutôt dans les produits transformés, poursuit Marine Colli, et là, il y a vraiment un trou dans la raquette de la réglementation européenne ».
Il n’y a pas d’obligation d’indiquer la provenance de la viande pour ce type de produits, tels que les nuggets ou les cordons bleus. « Quand Carrefour [ou Intermarché] annonce qu’il n’y aura pas de viande du Mercosur dans ses rayons, il n’a en fait pas les moyens de le vérifier pour les produits transformés », constate-t-elle.
• De la viande aux hormones et aux antibiotiques
Ursula von der Leyen a voulu rassurer, le 6 décembre. « Nous avons négocié des clauses de sauvegarde robustes pour protéger vos revenus », a-t-elle promis aux agriculteurs. Et nos « standards restent intouchables ». « Des garanties ? Il n’y en a pas, riposte Karine Jacquemart, directrice générale de l’association de consommatrices et consommateurs Foodwatch. Nous faisons déjà du commerce alimentaire avec ces pays-là, il y a déjà des problèmes, et ils vont augmenter. »
Par exemple, les importations en Europe de viande bovine traitée avec une hormone de croissance, l’estradiol 17β, sont interdites. « Cette hormone est cancérigène », rappelle Foodwatch. Or, un rapport de la Commission européenne publié en octobre dernier constatait que les contrôles actuels pour vérifier que le bœuf aux hormones brésilien n’est pas exporté chez nous « sont inefficaces ». « Il est probable que nos importations nous exposent déjà à cette hormone interdite, pense Karine Jacquemart. Avec ce traité, on augmente les volumes et on s’expose encore plus au problème ! »
« Ces substances n’ont pas été interdites
chez nous par hasard »
Autre exemple, il est parfaitement légal d’importer chez nous de la viande traitée aux antibiotiques, utilisés comme activateurs de croissance. « C’est une pratique routinière au Brésil, alors que c’est interdit dans l’Union européenne depuis 2006, dit Marine Colli. On a là une vraie distorsion de normes de production entre les éleveurs européens et américains, avec à la clé un vrai enjeu de santé publique, car cette pratique contribue au développement de l’antibiorésistance. »
• Des pesticides interdits qui reviennent dans l’UE
L’accord ne s’intéresse pas qu’à la viande, il prévoit également de faciliter l’importation en Europe de 180 000 tonnes de sucre. Une culture massivement arrosée de pesticides interdits dans l’Union européenne a récemment montré une enquête internationale de journalistes.
Certaines plantations sont cultivées par le groupe français Tereos, d’autres fournissent Nestlé. « Ces substances n’ont pas été interdites chez nous par hasard. On augmente le risque d’en retrouver des résidus dans nos assiettes », précise Karine Jacquemart.
Une partie de ces pesticides interdits dans l’UE continuent d’ailleurs d’être produits… en France, notamment, pour être exportés. Et le Brésil en est le principal destinataire. L’accord UE-Mercosur prévoit une augmentation de ces exportations. Il risque donc d’augmenter l’exposition des populations américaines et européennes à ces substances pourtant considérées comme trop dangereuses pour être utilisées en Europe. Un bel « effet boomerang », dénonce Karine Jacquemart.
• Encore plus d’OGM pour nourrir nos troupeaux
Conséquence indirecte sur nos assiettes, le traité promet d’avoir des effets sur l’alimentation donnée au bétail élevé dans l’Union européenne. L’accord prévoit notamment une augmentation des importations de maïs. L’association générale des producteurs de maïs s’en émeut.
Selon le rapport produit par l’organisation, 180 000 tonnes de maïs destiné à nourrir les volailles européennes pourraient être importées sans droits de douane. Il s’agirait en quasi-totalité de maïs OGM traité avec des pesticides interdits en Europe.
« Sur les 178 substances actives autorisées sur maïs au Brésil et en Argentine, 92 sont interdites en Europe, note le document. Cette part est encore plus élevée à l’échelle de la France : 138 substances actives sur les 178 autorisées au Brésil et en Argentine sont interdites. » 77,5 % des substances actives autorisées pour les producteurs du Mercosur sont ainsi interdites en France. Parmi elles, l’atrazine, interdite en France depuis plus de vingt ans ou les néonicotinoïdes.
Pour autant, si les négociations sont terminées, le traité n’est pas encore signé, rappelle Karine Jacquemart : « On peut encore éviter le pire. J’espère que l’on parviendra à un rejet soit par le Conseil européen, soit par le Parlement européen. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire