Soulèvements de la Terre : une dissolution lourde de conséquences
Si le décret de dissolution est bien adopté en Conseil des ministres, les conséquences concrètes pourraient être importantes pour Les Soulèvements de la Terre.
La dissolution des Soulèvements de la Terre a été annoncée le 21 juin par le gouvernement, malgré une assise juridique branlante. Les conséquences seront lourdes pour le mouvement écologiste.
L’étau se resserre autour des Soulèvements de la Terre. Le collectif écologiste a été dissous en conseil des ministres, a annoncé le mercredi 21 juin le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. La veille, mardi 20 juin, une nouvelle série de perquisitions et d’arrestations, notamment sur la zad de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), avait visé des personnes proches du mouvement. Le gouvernement a donc, finalement, décidé de passer outre les questions juridiques que pose la dissolution du mouvement.
Elle avait été annoncée par le ministre de l’Intérieur le 28 mars dernier, quelques jours après la manifestation contre les mégabassines à Sainte-Soline. Une première « lettre de griefs » avait été envoyée aux organisateurs supposés du mouvement.
La dissolution était envisagée au nom d’une disposition introduite par la loi confortant le respect des principes de la République du 24 août 2021, dite loi Séparatisme. Elle prévoit qu’une association ou un groupement de fait peuvent être dissous en conseil des ministres s’ils « provoquent à des manifestations armées ou a des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ».
Effet d’annonce
Une fois l’effet d’annonce passé, le soufflé était retombé, notamment du fait de la contestation populaire de la mesure envisagée. « Il faut instruire le dossier avant de prononcer une dissolution, ça prend un peu de temps », expliquait Olivier Véran le porte-parole du gouvernement à l’issue du conseil des ministres du 13 avril dernier.
L’affaire semblait juridiquement plus compliquée que prévu. Le gouvernement souhaite dissoudre les Soulèvements en tant que « groupement de fait ». Mais comment en définir les contours ? Ils « n’ont rien d’un groupe circonscrit » et sont « une coalition qui regroupe des dizaines de collectifs locaux, fermes, sections syndicales, ONG à travers le pays », contestaient-ils dans un communiqué.
Par ailleurs, faire le lien entre ce collectif informel et les « agissements violents » qui lui sont reprochés, n’est pas non plus chose aisée. La dissolution peut être contestée devant la justice administrative. Si le gouvernement ne veut pas voir sa décision retoquée, les preuves doivent être solides. Le dossier est donc resté au point mort pendant près de deux mois.
Le « coup de pression » de Macron sur sa Première ministre
Puis récemment, tout s’est accéléré. La mobilisation coorganisée par Les Soulèvements de la Terre contre le maraîchage industriel et les carrières des 10 et 11 juin en Loire-Atlantique, a suscité une volée de réactions outrées.
L’arrachage de muguet et de mâche cultivés dans des conditions industrielles a provoqué l’incompréhension, donnant l’occasion aux détracteurs du mouvement de relancer la campagne pour sa dissolution. Emmanuel Macron aurait mis un « coup de pression » sur sa Première ministre en ce sens, en conseil des ministres le 14 juin, racontaient Les Échos.
Le lendemain, Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA — syndicat agricole dominant défenseur des mégabassines et du maraîchage industriel — s’indignait dans une interview au Point que le mouvement ne soit pas encore dissous.
Des interventions qui se sont traduites par une nouvelle « lettre de griefs » adressée à deux animateurs du mouvement le 15 juin dernier. « Vous avez persisté à appeler à des actions de contestation, qui se sont à nouveau traduites par des agissements violents », reproche aux militants la Direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’Intérieur. Elle cite les actions du week-end du 10 et 11 juin comme nouveaux éléments à charge.
« Toute personne qui continue à se revendiquer des SLT peut être poursuivie »
Si le décret est bien adopté en Conseil des ministres, les conséquences concrètes pourraient être importantes. « En théorie, cela veut dire que toute personne qui continue à utiliser l’identité visuelle, le slogan, les logos, ou qui continue à se revendiquer des Soulèvements de la Terre peut être poursuivie », explique Aïnoha Pascual, l’une des avocates du mouvement.
Ses membres pourront théoriquement continuer à se voir, mais ne « pourront plus organiser des réunions, préparer des actions ressemblant à ce que font les Soulèvements de la Terre », poursuit-elle.
Pour les personnes ne respectant pas l’interdiction, la peine pour reconstitution d’un groupement dissous peut aller jusqu’à trois ans de prison et 45 000 euros d’amende. Et afin de vérifier que l’interdiction est bien respectée, le gouvernement dispose de moyens de surveillance importants : écoutes administratives, captation de conversations y compris dans les véhicules et domiciles personnels, géolocalisation, etc.
Comment surveiller chaque mouvement local ?
Appliquer ces dispositions pourrait cependant s’avérer compliqué pour le gouvernement : comment surveiller chaque mouvement local, chaque association ou membre disant appartenir aux Soulèvements ? D’autant que la menace de dissolution a amplifié le soutien, avec la création de plus de 170 comités locaux, selon les chiffres du mouvement.
« Il n’y a pas de chefs, pas de membres. Plus de 100 000 personnes revendiquent leur appartenance aux Soulèvements de la Terre, rappelle Me Pascual. C’est comme si on souhaitait dissoudre le mouvement féministe. Est-ce que le gouvernement va aller poursuivre tous ceux qui continuent à se revendiquer des Soulèvements ? Rien n’est moins sûr. »
Une décision contestable devant le Conseil d’État
En cas de dissolution, les Soulèvements ont la possibilité de contester la décision devant le Conseil d’État. La jurisprudence de la plus haute juridiction administrative est « à géométrie variable sur ce sujet-là », rappelle Julien Talpin, sociologue au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et membre de l’Observatoire des libertés associatives.
En mai 2022, les juges du Conseil d’État avaient notamment suspendu la dissolution du Groupe antifasciste Lyon et environs (Gale), voulue par Gérald Darmanin. Ils expliquaient que « les éléments avancés par le ministre de l’Intérieur ne permettent pas de démontrer que le Gale a incité à commettre des actions violentes et troublé gravement l’ordre public ».
« C’est la première fois qu’une procédure de dissolution est engagée contre une organisation écologiste »
Quelles que soient les suites, la menace de dissolution en elle-même marque un nouveau durcissement de la répression des mouvements écologistes, estime Julien Talpin. « À ma connaissance, c’est la première fois qu’une procédure de dissolution est engagée contre une organisation écologiste. Cela marque l’aboutissement d’une évolution », observe le chercheur.
Reste à savoir ce que cherche le gouvernement. Pour l’instant, les déclarations du ministre de l’Intérieur ont eu pour effet d’offrir un coup de projecteur au mouvement. Les arrestations, combinées à la menace de dissolution, pourraient laisser penser que le but est de viser un noyau dur de personnes identifiées comme animatrices.
Une drôle d’idée pour leur avocate Me Pascual : « La dissolution des Soulèvements ne sera pas une interdiction de se battre pour la cause écologique, ni ne fera taire leurs idées. La mobilisation renaîtra de manière quasi immédiate sous d’autres formes. »
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