Lutte contre la corruption
L’ONG Anticor privée de son agrément par le tribunal administratif
Avec cette décision, l’association de lutte contre la corruption perd la possibilité de porter plainte au nom de l’intérêt général. L’organisation dénonce «une atteinte grave à la démocratie».
Le risque était donc sérieux. Ce vendredi 23 juin, le tribunal administratif de Paris a décidé d’annuler l’agrément d’Anticor, qui lui permet de se substituer à un parquet parfois «peu proactif» en matière politico-financière. Et avec en plus un effet rétroactif au 2 avril 2021, date du dernier renouvellement triennal accordé à l’ONG. «Cette annulation constitue une atteinte grave à la démocratie, ainsi qu’aux libertés associatives», a-t-elle réagi sur Twitter. Anticor va bien évidemment faire appel, mais comme les délais judiciaires sont longs, l’association anticorruption avait anticipé la décision du tribunal en préparant d’ores et déjà une nouvelle demande d’agrément auprès de Matignon – la Chancellerie étant de facto dessaisie pour cause de plainte d’Anticor contre Eric Dupond-Moretti.
La rétroactivité du retrait d’agrément pourrait poser problème sur les plus de 150 procédures pénales actuellement diligentées par Anticor, du moins celles engagées depuis deux ans. A l’audience, la rapporteure du tribunal administratif s’était montrée optimiste à ce sujet, soulignant qu’un réquisitoire introductif du parquet permettrait de sauvegarder les procédures en cours, nonobstant la perte de pouvoir ester en justice du plaignant. Sauf que le parquet ne s’est pas toujours prononcé sur toutes les plaintes déposées par Anticor, dont certaines pourraient ainsi tomber à l’eau.
«C’est la fin de la démocratie»
En interne, on accuse le coup, même s’il était prévisible. «C’est la fin de la démocratie», se désole une dirigeante d’Anticor : «Nous allons tenter de mobiliser les autres associations.» C’est déjà fait, comme l’explique à Libération la section française de Transparency International, l’une des trois associations agréées pour porter plainte contre toute atteinte à la «probité», terme général qui va de la corruption au blanchiment en passant par le favoritisme ou le conflit d’intérêts. «Nous ne critiquons jamais une décision de justice mais demandons au pouvoir exécutif de renouveler immédiatement l’agrément d’Anticor.» Et de pointer, en sus de ce retrait d’agrément, un «essoufflement de la lutte contre la corruption, où le rôle des associations est essentiel». A entendre Transparency International, «tous les voyants sont au rouge».
L’ONG Sherpa, plus portée sur la corruption internationale, n’est pas en reste : «La décision du tribunal administratif confirme les craintes que nous exprimons depuis des années : l’action des associations étant soumise au bon vouloir de l’administration, avec des critères flous exposant les associations à des décisions arbitraires.» Et d’en appeler à une réforme en profondeur de la procédure pénale, car «au-delà du frein à la lutte contre la criminalité en col blanc, ce sont les libertés associatives et la démocratie qui sont ici menacées». Pas moins.
Comme Transparency International ou Sherpa, Anticor est l’une des trois ONG habilitées à porter plainte au nom de l’intérêt général en matière de délinquance financière et de lutte contre la corruption.
Habituellement, les tribunaux n’ont pas à se mêler de cet agrément triennal, qui relève d’une décision administrative prise par le ministère de la Justice – ou par Matignon. Lors de son dernier renouvellement en avril 2021, le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, avait dû se déporter car Anticor avait préalablement porté plainte contre lui devant la Cour de justice de la République. Dans le cas présent, c’est sur recours d’un opposant interne que la justice est saisie : Claude Bigel, ancien vérificateur des comptes de l’association, exclu en septembre 2020.
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