Lois sur «l’autodétermination du #genre» et la naturalisation des étrangers : vers un requiem pour l’identité traditionnelle allemande ?
En Allemagne, après la législation sur la dépénalisation de la consommation de cannabis, mise sur les rails mi-août, la coalition dirigée par le chancelier Olaf Scholz a donné son feu vert, mercredi 23 août, à deux autres projets de loi chers à la cause woke : le premier facilitant le changement d’identité et de prénom pour les personnes transgenres, le second ouvrant encore plus aisément l’accès à la citoyenneté allemande pour les étrangers. Une série de réformes sociétales qui scandalisent la droite, où l’on dénonce une volonté à gauche d’en finir avec « l’identité traditionnelle allemande ».
Le Monde ne s’y trompe pas : avec la loi sur « l’autodétermination du genre », « la révision du code de la nationalité s’inscrit dans une série de réformes progressistes voulues par le gouvernement d’Olaf Scholz », écrit le journal. Ces textes, qui doivent encore être débattus puis votés au Parlement, ont pour objectif de permettre au Parti social-démocrate, aux Verts et aux libéraux du FDP de renouer avec l’élan progressiste à l’origine de leur contrat de coalition intitulé « Oser plus de progrès ».
Reportés en raison de la mobilisation du gouvernement allemand contre la Russie à la suite du déclenchement de la guerre en Ukraine, ils sonnent aussi l’offensive unie d’une alliance divisée sur les questions budgétaire, énergétique et de défense contre le parti conservateur AfD, qui caracole dans les sondages.
Projet de loi sur « l’autodétermination du genre »
Il était réclamé de très longue date par les activistes LGBTQ+. Ce texte vise à « faciliter le changement de genre et de prénom à l’état civil pour les personnes transgenres, intersexes et non binaires », indique dans un communiqué le cabinet du ministre de la Famille, Lisa Paux.
Si le Parlement avalise le projet, il suffirait alors de remplir une déclaration auprès de l’état civil pour changer de prénom et de genre. Pour les moins de 14 ans, cette démarche sera possible, à condition d’être initiée par les parents ou tuteurs. Pour les plus de 14 ans, la procédure pourra être effectuée seule, mais les parents devront donner leur consentement. En cas de conflits entre le mineur et ses tuteurs légaux, c’est le juge qui tranchera le litige.
Par ailleurs, la proposition de loi prévoit « des garanties dans la procédure contre les fausses demandes de changement d’état civil – par exemple, si des opposants trans veulent diffamer le droit à l’autodétermination » et une amende contre quiconque révèlerait le sexe biologique de la personne transgenre, non binaire ou intersexe contre sa volonté.
Pour la porte-parole de l’AfD Alice Weidel, le gouvernement « non seulement s’élève une fois de plus au-dessus des faits scientifiques, mais s’oppose à nouveau à la Loi fondamentale » de la République fédérale d’Allemagne, qui dispose dans son article 6 qu’« élever et éduquer les enfants sont un droit naturel des parents », a-t-elle cinglé sur Twitter/X. Et d’alerter : « Si les parents s’opposent au souhait de leur enfant de changer de sexe, les tribunaux de la famille pourront à l’avenir décider du contraire et ordonner un changement de sexe. Pire encore, le gouvernement fédéral crée un précédent qui permettra à l’avenir de déclarer les institutions étatiques tutrices légales dans une grande variété de domaines si cela sert leurs objectifs idéologiques ».
Certaines mouvances féministes sont également montées au créneau, faisant valoir que des hommes, qui seraient de potentiels agresseurs sexuels, pourraient grâce à cette loi abuser des nouvelles règles pour accéder aux espaces réservés aux femmes.
De son côté, Alice Schwarzer, célèbre féministe allemande, a affirmé redouter que ce texte n’incite les jeunes à changer leur genre juste parce que c’est « à la mode », dans un entretien à Der Spiegel. Le président du syndicat allemand du personnel pénitentiaire, Rene Müller, a, pour sa part, exigé des règles claires en matière d’incarcération des personnes transgenres.
La presse aux Etats-Unis et au Royaume-Uni s’est en effet plusieurs fois fait le relai de cas de viols commis dans des prisons pour femmes par des hommes se déclarant du sexe opposé, bien qu’ils n’aient même pas subi d’opération chirurgicale.
Projet de loi accélérant la naturalisation
En parallèle du projet de loi sur « l’autodétermination du genre », qui fait la part belle à la remise en cause de l’identité sexuelle biologique, le gouvernement allemand veut bouleverser les conditions d’obtention de la nationalité, lui faisant un peu plus perdre son caractère identitaire vingt-trois ans après la grande révision du droit de la nationalité, qui rompait avec le principe traditionnel du droit du sang. Un nouvel aggiornamento.
Ce texte prévoit de délivrer la nationalité allemande après cinq ans de résidence dans le pays, au lieu de huit actuellement, ou même après trois ans dans le cadre d’une « naturalisation turbo » pour les étrangers maitrisant la langue, détenant une compétence professionnelle recherchée ou bien se distinguant par un engagement bénévole.
Par ailleurs, cette loi étendra la possibilité d’acquisition de la double nationalité. Jusqu’alors, le droit de conserver sa nationalité d’origine était réservé aux citoyens de l’Union européenne et de la Suisse. Un chamboulement majeur, quelque douze millions d’étrangers résidant actuellement outre-Rhin sans posséder la nationalité allemande, soit un habitant sur sept. C’est notamment le cas de la communauté turque, évaluée à 2 millions de personnes en 2018 et à 4 millions si on ajoute les citoyens allemands de cette origine.
« Nous voulons que les personnes qui font partie depuis longtemps de notre société puissent participer à l’organisation démocratique de notre pays », a justifié la ministre de l’Intérieur Nancy Faeser lors d’une conférence de presse. Un futur réservoir électoral pour la gauche, ne manqueront pas de fustiger, à droite, les détracteurs habitués à accuser le camp adverse de vouloir agrandir le nombre de ses électeurs par le biais de l’immigration.
Sans surprise, l’AfD a déjà donné le ton des discussions politiques qui auront lieu à ce sujet cet automne : « Les choses ne peuvent pas aller assez vite pour les abolitionnistes allemands – désormais, la citoyenneté allemande est également vendue au rabais », a tonné Alice Weidel sur Twitter/X, en partageant un article d’Alexandre Wallash. Aux yeux du journaliste allemand, la loi sur l’autodétermination du genre et celle sur la naturalisation des étrangers sont « bien plus étroitement liées qu’on ne pourrait le penser », les deux visant « l’effacement de l’identité traditionnelle allemande » : « Tout héritage sera déclaré nul et non avenu ».
« La ministre de l’Intérieur a déclaré mercredi qu’il n’y avait pas de plus forte déclaration d’attachement à l’Allemagne que la naturalisation. On pourrait lui objecter que si : renoncer à toute autre nationalité », a, pour sa part, critiqué le journal conservateur FAZ dans son édition du 24 août. Même son de cloche chez le député conservateur Alexander Throm, qui, dans le journal Die Welt, a jugé mercredi la loi « inconsidérée » et la période de trois à cinq ans « tout simplement trop courte » pour procéder à une naturalisation.
Cependant, pour la coalition au pouvoir, « une loi moderne sur la nationalité est une clé décisive pour la compétitivité de l’Allemagne », a déclaré la ministre de l’intérieur, Nancy Faeser, mercredi. Réduire la pénurie de main-d’œuvre dans un pays vieillissant, un argument déjà mis en avant quelques années plus tôt lorsque l’ex-chancelière Angela Merkel avait décidé de faire entrer sur le territoire allemand 1,2 million de réfugiés, entre 2015 et 2016. Cette politique a-t-elle porté ses fruits ?
Échec d’intégration des migrants sur le marché du travail allemand
C’est un camouflet, expliquait en substance le Wall Street Journal dans un article de décembre 2022 intitulé « L’Allemagne manque de travailleurs, mais ses migrants ont des difficultés à trouver du travail ». Des 800.000 Syriens et Afghans en âge de travailler, à peine un tiers d’entre eux est parvenu à décrocher un emploi, bien qu’ils soient arrivés outre-Rhin cinq ans plus tôt. Comme l’explique le média américain, « de nombreux réfugiés ne cadrent pas avec le marché du travail allemand en demande de travailleurs hautement qualifiés ». Chez les migrants syriens, seul un tiers ont leur baccalauréat. Et quand bien même, les employeurs reconnaissent rarement les diplômes obtenus à l’étranger, contraignant même ceux qui ont fait des études supérieures à, parfois, repartir à zéro.
Une réalité admise à demi-mot par la commissaire fédérale à l’intégration, Aydan Özoguz, dans une interview au Financial Times en 2017. Devant le manque de qualifications et l’absence de maitrise de la langue des nouveaux venus, elle reconnaissait « un changement de perceptions » au sein de la population. Si les premiers arrivants comptaient dans leurs rangs des docteurs et des ingénieurs, ils ont été suivis par « beaucoup, beaucoup d’autres qui manquaient de compétences ».
Ce n’est pas faute d’avoir essayé. En plus des parcours d’intégration, pour leur permettre d’apprendre l’allemand à travers le monde de l’entreprise, le gouvernement d’Angela Merkel avait annoncé en 2016 la création d’ici trois ans de 100.000 offres d’emploi à destination des migrants payés… 80 centimes de l’heure. Une intégration à moindre coût. « Les réfugiés qui restent en Allemagne ne doivent pas devenir des chômeurs de longue durée », faisait alors valoir le ministère du travail fédéral.
Les justifications derrière cette nouvelle loi sur l’accélération de la naturalisation des étrangers risquent, par conséquent, de passer d’autant plus mal au sein d’un pays dont les électeurs reportent leur vote sur l’Alternative Für Deutschland, dont l’opposition à l’immigration est devenue son principal cheval de bataille politique.
Un en même temps à la sauce Scholz
Le timing autour de l’annonce de ce projet législatif a néanmoins de quoi surprendre. Le 18 août dernier, à l’occasion d’une rencontre avec son homologue autrichien, Olaf Scholz avait défendu les contrôles aux frontières intérieures tant qu’il n’y aurait pas de régime global en place pour endiguer l’immigration clandestine, même si ces mesures doivent temporairement entraver la libre circulation à l’intérieur de l’espace Schengen. « La question est importante sur le plan politique pour les deux gouvernements, qui doivent faire face à la montée du soutien aux partis d’extrême droite », analysait le média Euractiv. À supposer que les paroles de M. Scholz se transforment en actions concrètes, la législation sur l’accélération de l’octroi de la nationalité allemande aux étrangers risque in fine de court-circuiter les efforts de conciliation du chancelier et, ainsi, renforcer la base électorale de l’AfD.
En outre, il est également à supposer que les Vingt-Sept s’écharperont autour de la mise en œuvre de la nouvelle politique migratoire de l’UE adoptée à la majorité par le Conseil en juin dernier, sur laquelle reposent les espoirs du social-démocrate allemand. Cette réforme du système d’asile, qui doit encore être approuvée par le Parlement européen avant juin 2024, prévoit aussi de répartir, sous la contrainte, les demandeurs d’asile : une sanction financière de 20.000 euros sera appliquée par migrant refusé. À l’instar de la Hongrie, la Pologne est vent debout contre ce projet. Son Premier ministre Mateusz Morawiecki, qui estime qu’il s’agit là d’un « diktat visant à changer la culture européenne », a d’ores et déjà annoncé sa volonté d’organiser, le 15 octobre, un référendum qui posera aux citoyens la question suivante : « Soutenez-vous l’admission de milliers d’immigrants illégaux du Moyen-Orient et d’Afrique dans le cadre du mécanisme de relocalisation forcée imposé par la bureaucratie européenne ? »
En Allemagne, la protestation silencieuse pourrait s’exprimer prochainement dans les urnes. Les chrétiens-démocrates de plus en plus délaissés par les électeurs de droite en raison d’un rejet lié à l’ère Merkel, l’AfD, aujourd’hui devenu le deuxième parti le plus populaire du pays, peut dormir tranquille.
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