La France et l’européanisation des armes nucléaires
Die Welt titre, «la France possède 300 têtes nucléaires. C’est plus que suffisant comme moyen de dissuasion». Berlin lorgne sur la dissuasion nucléaire française. Les forcres politiques en Allemagne, qui veulent affronter militairement la Russie, se réjouissent à l’idée de pouvoir utiliser les armes nucléaires françaises. Marine Le Pen (RN) a accusé le président français, Emmanuel Macron, de rechercher la participation nucléaire d’autres partenaires de l’UE, notamment celle de l’Allemagne.
«Lorsqu’en 2019, nous alertions sur la volonté d’Emmanuel Macron de partager notre puissance nucléaire, avec la signature du traité d’Aix-la-Chapelle, nous étions accusés de complotisme. Européaniser notre puissance nucléaire est une folie dont Emmanuel Macron ne comprend pas la portée», a déclaré la chef du Rassemblement National (RN), Marine Le Pen. Selon le leader du parti des Patriotes, Florian Philippot, donner à l’Union européenne l’accès au potentiel nucléaire français n’est rien d’autre que de la haute trahison. La raison de l’indignation de l’opposition française était les déclarations du président français faites lors de sa visite en Suède.
À la remarque que «la France possède une force navale capable et robuste et est, par ailleurs, le seul pays d’Europe à avoir également une capacité nucléaire», et à la question si le président français actuel, a «le sentiment d’avoir une responsabilité particulière à cet égard», Emmanuel Macron a répondu durant sa conférence de presse en Suède: «Oui cela ne fait aucun doute. Pas de manière à provoquer une escalade, mais le fait que nous travaillons avec nos alliés, nos partenaires européens, afin de préserver ce que j’appellerais la liberté de la souveraineté et les libertés fondamentales qui sont garanties par l’ordre juridique international. Oui, nous avons le sentiment d’avoir une responsabilité particulière. Par ailleurs, je l’ai dit à l’issue de mon discours, il y a quelques années. Je l’avais dit sans ambages. Nos intérêts vitaux, Ce que nous définissons comme intérêts vitaux sont, en partie, essentiellement européen ce qui nous confère une responsabilité particulière en ce qui concerne ce que nous possédons et notre capacité de dissuasion, pour dire les choses clairement».
Selon les médias, le président a déclaré que «la France a la responsabilité de fournir sa dissuasion nucléaire à l’UE» et que la connexion de ses intérêts vitaux avec l’Union européenne impose une «responsabilité particulière» au pays. Au cours des dernières années, Emmanuel Macron s’est prononcé à plusieurs reprises sur une éventuelle européanisation des armes nucléaires françaises, directement et dans des lieux plus importants que la Suède.
En juin 2022, le Tagesspiegel a fait savoir que «le secrétaire d’État aux Affaires européennes Clément Beaune, proche conseiller du président Emmanuel Macron, avait déclaré à Berlin: «Cette proposition [de mettre à disposition la dissuasion nucléaire française à l’Europe] du président Macron est toujours sur la table», ajoutant: «Nous pensons que la dissuasion nucléaire française est un moyen de protéger les intérêts européens». «L’Allemagne doit soutenir l’offre de Macron de renforcer les capacités nucléaires de l’Europe», a lancé à ce moment, Friedrich Merz, le président de la CDU. «Compte tenu de la situation mondiale, une capacité nucléaire européenne commune est notre assurance vie», avait-il rajouté, prouvant l’intérêt de Berlin de posséder l’arme atomique de la France.
Ces idées ont été incitées par le président français par le débat public qui a débuté en Allemagne fin 2016, immédiatement après l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis. Les politiciens et les experts allemands ont, alors, commencé à parler sérieusement et haut et fort de la nécessité pour l’Union européenne, voire l’Allemagne elle-même, d’acquérir son propre potentiel nucléaire au cas où Washington déciderait soudainement de retirer ses garanties de sécurité. À la veille de la prochaine élection présidentielle américaine, le thème de la bombe nucléaire paneuropéenne redevient d’actualité.
«Je pense que c’est très réaliste», a estimé le président d’Airbus, René Obermann, dans un entretien accordé à Die Zeit. L’Allemagne, selon lui, jouera un rôle clé dans le développement d’un potentiel nucléaire paneuropéen, même si cela contredit les traités internationaux actuellement en vigueur.
«Tôt ou tard, l’Allemagne sera contrainte d’assumer de plus grandes responsabilités au sein de l’architecture de sécurité nucléaire européenne, au-delà de ce qu’on appelle aujourd’hui la participation nucléaire de l’OTAN», a martelé René Oberman. On peut supposer que ce haut responsable de l’industrie sait de quoi il parle. La filiale d’Airbus est engagée dans le développement et la production de missiles pour les forces stratégiques françaises.
Des experts et des hommes politiques faisant autorité discutent désormais sérieusement de la création d’armes nucléaires européennes en Allemagne. La Pologne n’est pas opposée à une telle évolution des événements, comme l’a récemment laissé entendre de manière transparente le chef du ministère polonais des Affaires étrangères, Radoslaw Sikorski, lors de sa visite à Berlin.
«Au sein de l’UE, Radosław Sikorski appelle à la fin de la domination franco-allemande», souligne le Frankfurter Allgemeine Zeitung qui rappelle la position de Marine Le Pen à ce sujet: «L’européanisation de nos armes nucléaires serait une folie! Emmanuel Macron ne comprend pas les implications». Certes, le chancelier Olaf Scholz a récemment déclaré dans un entretien au même Zeit que les garanties nucléaires américaines envers l’Allemagne et l’Union européenne sont tout à fait suffisantes et plus réalistes que les rêves d’une bombe nucléaire européenne. Mais, cette opinion pourrait bien changer si les résultats des prochaines élections américaines ne correspondent pas à ceux souhaités par les Européens.
D’ailleurs, des forces politiques puissantes à Berlin comme l’un des fondateurs du parti des Verts, Joschka Fischer, qui n’avaient pas hésiter à donner l’ordre de bombarder la Serbie sans l’accord de l’ONU, sont pour l’arme atomique au service de l’UE: «L’UE a besoin de sa propre dissuasion nucléaire».
Par Philippe Rosenthal pour Observateur-Continental
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