Marseille: plus belle la triche
Rabatteurs de votes, urnes "bourrées", intimidations: à Marseille, les accusations fusent depuis l'ouverture d'une enquête sur une fraude présumée aux procurations. "C'est un peu comme 'balancetonporc'", glisse une candidate: "On est devant un événement habituel, mais qui soudain devient insupportable".
Il y a huit jours, la révélation des "procurations simplifiées" , ne respectant pas le cadre légal, proposées par des candidates des listes Les Républicains a entraîné l'ouverture d'une enquête par le parquet.
La justice s'intéresse aussi à des procurations - qu'on ne peut dans l'immédiat rattacher à aucun candidat - établies auprès de résidents d'un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes à leur insu, selon plusieurs familles.
Tête de liste LR sur la ville, la présidente du département des Bouches-du-Rhône et de la métropole Martine Vassal a d'abord balayé une "polémique" de "Parisiens", avant d'assurer qu'elle n'a "jamais fraudé" : "S'il y a des faits qui sont avérés, je serai intraitable" .
Mais, déjà mise en difficulté par ces révélations, Martine Vassal a vu depuis remonter à la surface d'autres souvenirs du premier tour, qui avait vu la candidate de l'union de la gauche Michèle Rubirola la devancer sur l'ensemble de la ville.
Le SMS signé "JR VB"... initiales du maire et députée LR du 11e
Le 15 mars déjà, l'ambiance était électrique. "Des anomalies, j'en ai déjà vu, mais jamais autant qu'à cette élection!" , témoigne André Sarkissian, assesseur pour La République en marche (LREM) dans le 11e arrondissement.
Ce militant aguerri décrit, comme d'autres, des photocopies de procurations, sans récépissé, mises de côté par les assesseurs... jusqu'à la réception d'un SMS leur intimant de les accepter.
Ce message est signé "JR VB" - pour ceux qui le lisent, aucun doute: il s'agit des têtes de liste LR du secteur, le maire Julien Ravier et la députée Valérie Boyer. Julien Ravier vient d'écarter son directeur de campagne. Si ces procurations ne peuvent pas formellement être reliées à un candidat ou un autre, les listes d'émargement consultées font apparaître parmi les mandataires de ces pensionnaires les noms de plusieurs proches de Julien Ravier, dont son directeur de cabinet, un élu ou encore la directrice générale des services de sa mairie.
Procurations "illisibles", plainte, intervention de la police...
La même Valérie Boyer provoque aussi un esclandre dans un autre bureau de vote du secteur, où une déléguée refuse d'enregistrer des procurations "illisibles et qui ne correspondent pas à la liste d'émargement" .
Une témoin raconte: "Le ton est monté, Valérie Boyer a fini par lui dire: 'Si vous n'obéissez pas, j'appelle la police" . La déléguée du candidat LR Bruno Gilles portera plainte contre elle le lendemain.
Le même débat autour de procurations s'envenime aussi dans un autre bureau du 11e, au point que la police intervient. Un huissier, appelé par le Printemps marseillais, évoque dans son procès-verbal consulté "28 photocopies de procurations" apportées par une personne qui "n'a pas décliné son identité" .
Une vice-procureure du parquet est même dépêchée sur place. Elle voit "un jeune homme, bulletin de Martine Vassal à la main (seul et unique bulletin en sa possession), se présenter accompagné d'une tierce personne, l'air hagard, en demandant ce qu'il devait faire" , écrit-elle dans un compte-rendu.
Les témoignages sur ces "rabatteurs" allant dénicher les votants, sont légion. Dans un autre secteur de la ville, le 2e-3e, un assesseur LREM, Christian Apothéloz, remarque lui aussi la présence "insistante" de "proches de (la tête de liste LR) Mme (Solange) Biaggi".
Tentative de vol d'urne
Dans le quartier pauvre de Félix-Pyat (3e), le parquet est saisi pour la tentative de vol d'une urne par des hommes munis de pistolets à billes de peinture...
Au même endroit déjà, lors des législatives de 2017, le député de La France insoumise Jean-Luc Mélenchon, alors candidat, avait vu le président du bureau "mettre de côté" une enveloppe contenant des dizaines de bulletins, se rappelait-il récemment devant la presse: "Dedans, c'est 100% pour la même personne" . Les résultats du bureau ne seront finalement pas comptabilisés.
En 1983 déjà, alors que Gaston Defferre et Jean-Claude Gaudin étaient au coude-à-coude, des accusations de fraudes avaient été lancées et les recours multiples. Lors des municipales de 2014, c'est l'ex-président de l'OM Pape Diouf, candidat à la mairie, qui avait dénoncé "des électeurs intimidés" ou même une liste d'émargement déjà signée avant l'ouverture d'un bureau de vote...
"Gomorravirus" et fin de règne...
Alors, y a-t-il une spécificité marseillaise dans ces éternels soupçons de magouilles et manigances? Certainement pas, tonne Jean-Claude Gaudin, soutien de Martine Vassal, souvent présentée comme son "héritière": "La légende noire de la vie politique à Marseille, ça suffit!" .
"J'ai assisté moi-même à des faits de clientélisme et même de corruption, et pas toujours de la part des mêmes..." , souffle pourtant une candidate de gauche habituée de longue date des joutes électorales. Avant même le premier tour, le candidat du Rassemblement national Stéphane Ravier s'inquiétait aussi de possibles fraudes, fustigeant "une tradition marseillaise dont on se passerait bien" .
Le 15 mars, la sénatrice ex-PS Samia Ghali, candidate à la mairie, dénonçait quant à elle "des fraudes massives sur l'ensemble de la ville" , fustigeant un "Gomorravirus qui met en péril la sincérité su scrutin" - en référence au livre de Robert Saviano sur la mafia, "Gomorra".
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