Nouvelle-Calédonie : miroir des failles françaises
Les drames qui se déroulent en Nouvelle-Calédonie révèlent les failles du modèle français et l’impasse stratégique de bon nombre de décideurs. Plusieurs problèmes émergent de ces jours de violence.
Premier problème, un mouvement qui ne fut pas anticipé. Si l’intensité du mouvement social a pu être sous-estimée, il est en revanche inquiétant que personne n’ait anticipé le fait que le dégel du corps électoral n’allait pas engendrer des manifestations violentes. Il est évident que pour les Kanaks indépendantistes (tous les Kanaks ne le sont pas), le dégel du corps électoral est inacceptable puisque cela signifie que les Français arrivés dans l’archipel au cours des vingt dernières années pourront voter et donc que les indépendantistes seront structurellement minoritaires. Cette absence d’anticipation témoigne d’une méconnaissance totale de la situation et donc d’un manque d’informations fiables et sûres. Le renseignement est cassé et ne fournit plus aux décideurs les bons éléments pour prendre des décisions justes. À leur décharge, les services de renseignement intérieur fournissent aux décideurs les informations que ceux-ci veulent voir et entendre ; bien souvent, il leur est demandé de modifier les rapports afin que ceux-ci collent avec ce qui est pensé dans les ministères.
Deuxième problème, la non-maîtrise du territoire national. Les exemples se multiplient, notamment les émeutes de juin 2023 et nous en avons une autre confirmation en Nouvelle-Calédonie : les forces de l’ordre ne sont plus capables de maintenir l’ordre. Six morts au moment où ces lignes sont écrites, la route Nouméa / aéroport coupée, des quartiers entiers bloqués, des habitants pris d’assaut par les groupes violents, des magasins pillés et détruits, empêchant tout ravitaillement, des pharmacies et des hôpitaux attaqués, empêchant les soins. En Nouvelle-Calédonie, l’État français n’a pas été capable d’assurer l’ordre. Par manque d’anticipation, mais aussi par manque de doctrine claire sur les opérations à conduire. Tout est venu après coup, sans anticipation, provoquant un accroissement de l’abcès.
Troisième problème, l’absence de vision pour la Nouvelle-Calédonie. Un processus avait été initié en 1988 dont les promoteurs espéraient qu’il aboutirait à l’indépendance de l’archipel. Ce ne fut pas le cas puisqu’à trois reprises les référendums aboutirent à un refus de l’indépendance. L’archipel restait sur les bras français avec des gouvernements qui ne savaient pas quoi en faire. Il y a certes le nickel, matière importante, mais qui ne sera pas éternelle. Longtemps, ces îles furent un bagne où furent envoyés notamment les auteurs de la Commune. Nous n’en sommes plus là. Aucune réflexion sur la place géostratégique de la Nouvelle-Calédonie, sur la projection de la France dans le Pacifique, sur les rapports de puissance face à la Chine et aux pays asiatiques. Dans ces conditions, à quoi sert la Nouvelle-Calédonie ?
Quatrième problème, l’absence de vision pour les outre-mer. Que ce soient les Antilles, Mayotte, La Réunion, les TAAF ou la Nouvelle-Calédonie, le regard porté est toujours celui du traitement par le social. Il n’y a aucune vision stratégique, aucune réflexion géopolitique, aucune pensée. Le RSA, Pôle emploi et la Sécurité sociale sont les seuls leviers d’action dans les outre-mer, partant du principe que seul le traitement par le social règlera les problèmes. Cela crée un système de rente où les populations locales vivent aux frais du contribuable français, tout en le détestant.
En 2021, les flux entre les régions de France étaient organisés de la façon suivante : l’Île-de-France paye pour les autres régions. Chaque Francilien était, en moyenne, contributeur à hauteur de 6 345€. À Mayotte, les habitants reçoivent en moyenne 4 395€ par an, Guyane : 4 305€, La Réunion 4 282€, Guadeloupe 3 603€. La première région de métropole, le Limousin, est à 3 599€.
Je n’ai pas de données pour la Nouvelle-Calédonie, mais on peut supposer de fortes disparités entre les populations vivant du nickel et celles vivant de la redistribution. Ce système de social-collectivisme arrive ici à bout de souffle.
On peut s’offusquer des ingérences russes, azéries, turques et chinoises en Nouvelle-Calédonie, mais si c’est pour ne rien faire de ces territoires hormis y envoyer l’hélicoptère à argent magique, peut-être que ces pays feront mieux que nous.
Que faire ?
D’abord rétablir l’ordre et la sécurité en levant les barrages et en arrêtant les meneurs. La population civile y a droit et si l’État central n’est pas en mesure d’assurer la sécurité alors il est injuste d’y prélever des impôts.
Ensuite, deux possibilités s’offrent à la France : rester ou partir. Si on reste, il faut définir une doctrine claire, une projection et une vision géopolitique pour ces territoires. Ce peut être scientifique, océanographique, industriel, militaire, touristique ou un mélange de tout cela.
Si c’est pour n’avoir aucune vision et n’offrir que des aides sociales et des postes aux professeurs et aux préfets détachés, alors autant baisser le pavillon et rentrer le drapeau. En somme, aujourd’hui, le choix réside entre partir ou faire de la géopolitique et donc rester.
Jean-Baptiste Noé
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