mercredi 17 juillet 2024

DEFAUT

 L’Ukraine risque d’être en défaut de paiement de sa dette dès le 1er août.

La Commission européenne a exhorté les créanciers privés à conclure « rapidement » un accord avec le gouvernement ukrainien afin d’éviter que Kiev ne se retrouve en situation de défaut de paiement de milliards de dollars de dettes au début du mois prochain.

L’exécutif européen a lancé cet appel avant l’expiration, le 1er août, du moratoire de deux ans sur le paiement des intérêts ukrainiens sur les prêts des créanciers privés, qui avait été convenu peu après l’invasion par la Russie en février 2022. L’accord représente environ 15 % du PIB annuel de Kiev, soit 20 milliards de dollars.

« Il est essentiel que l’Ukraine et les détenteurs d’obligations internationaux trouvent rapidement un accord équitable sur les paramètres de la restructuration, ce qui est indispensable à l’objectif de rétablissement de la viabilité de la dette de l’Ukraine », a déclaré un porte-parole de la Commission à Euractiv jeudi (11 juillet).

« Nous sommes convaincus que les parties impliquées sont déterminées à trouver un accord de restructuration satisfaisant et ordonné avant que la suspension du service de la dette avec les détenteurs d’obligations internationaux n’expire », a ajouté le porte-parole.

Ces commentaires font suite à l’échec des détenteurs d’obligations et des responsables ukrainiens à parvenir à un accord sur la restructuration de 20 milliards de dollars de la dette extérieure de Kiev, malgré de longues négociations le mois dernier.

Kiev, dont le déficit et le niveau d’endettement ont grimpé en flèche depuis le début de l’offensive militaire russe en février 2022, exigeait une réduction de 60 % de sa dette. Les détenteurs d’obligations, dont plusieurs géants de l’investissement américains et européens tels que BlackRock, PIMCO, Fidelity et Amundi, proposaient une réduction de 22 %.

Il est à noter qu’un prêt de 15,6 milliards de dollars, conclu avec le Fonds monétaire international (FMI) en mars de l’année dernière, dépend partiellement de la restructuration effective d’une part importante de la dette extérieure de l’Ukraine.

En attendant, il est peu probable que l’aide des États-Unis et de l’Union européenne à Kiev permette de remédier à la crise budgétaire imminente du pays.

Un programme d’aide de 60 milliards de dollars exclusivement destiné à des fins militaires a été approuvé par les législateurs américains en avril, tandis qu’un prêt plus technique de 50 milliards de dollars approuvé par les dirigeants du G7 le mois dernier ne devrait arriver que plusieurs mois après la date limite du mois d’août.

De plus, l’Ukraine sera confrontée à de nouvelles difficultés d’ici mars 2027, date d’expiration de la suspension du service de la dette convenue par les gouvernements qui prêtent à l’Ukraine sur les marchés — à savoir le Canada, la France, l’Allemagne, le Japon, le Royaume-Uni et les États-Unis.

« Lorsque la suspension de la dette expirera, s’il n’y a pas d’accord sur une nouvelle suspension ou sur une restructuration complète de la dette, l’Ukraine sera probablement en défaut de paiement », a déclaré à Euractiv Tim Jones, responsable de la politique de Debt Justice, une organisation à but non lucratif basée au Royaume-Uni.

Tim Jones a critiqué le refus des détenteurs d’obligations privées d’accepter une réduction plus substantielle de la dette.

« L’Ukraine ne peut pas, et ne devrait pas, payer l’intégralité de ses créanciers privés alors qu’elle est confrontée à l’invasion russe », a-t-il souligné, ajoutant que « la seule raison pour laquelle les créanciers privés ne sont pas disposés à accepter une réduction plus importante de la dette est qu’ils cherchent à accroître leurs propres bénéfices ».

Selon Tim Jones, la position actuelle des détenteurs d’obligations équivaut à exiger que les agences publiques et les gouvernements — et donc les contribuables — remboursent leurs prêts à la place.

« En refusant d’accepter une réduction de dette, les détenteurs d’obligations tentent d’obtenir que l’argent public promis à l’Ukraine par le FMI, l’UE et d’autres organismes soit utilisé pour rembourser les créanciers privés, plutôt que pour reconstruire l’Ukraine », a souligné Tim Jones.

Maksym Samoiliuk, économiste au Centre de stratégie économique (Centre for Economic Strategy, CES), un groupe de réflexion basé à Kiev, s’est fait l’écho de ces remarques.

« Étant donné que l’Ukraine utilise toutes ses recettes budgétaires pour financer sa défense, la principale source de remboursement des dettes privées pourrait être l’aide budgétaire des pays étrangers, c’est-à-dire l’argent de leurs contribuables », a-t-il déclaré à Euractiv.

« Dans cette optique, l’intérêt des gouvernements à ce que la position de négociation de l’Ukraine réussisse semble logique. »

Contacté par Euractiv, Greenbrook Advisory, qui gère les communications au nom du comité de négociation des détenteurs d’obligations, a refusé de commenter.

Les créanciers privés ouverts à de nouvelles négociations ?

Dans l’ensemble, cependant, pour Maksym Samoiliuk le scénario « le plus probable et le plus optimal » est de parvenir à un accord de restructuration de la dette.

« Nous pensons que la position des créanciers privés n’est qu’une offre initiale, et qu’une réduction de valeur acceptable pour les deux parties devrait être négociée. »

Maksym Samoiliuk a également expliqué qu’un défaut de paiement de la part de Kiev n’aurait que peu, voire pas du tout d’impact immédiat sur l’économie de l’UE — ou même de l’Ukraine — étant donné que les sommes négociées représentent moins d’un cinquième de la dette extérieure totale de l’Ukraine.

Il a également fait remarquer que les conséquences d’un défaut de paiement ne deviendraient apparentes qu’une fois la guerre terminée.

« Dans un environnement plus calme et plus pacifique, il est important d’éviter un défaut de paiement pour préserver l’accès du pays aux marchés de capitaux extérieurs », a-t-il expliqué, alors que « l’Ukraine a perdu cet accès quelques semaines avant le début de l’invasion à grande échelle ».

« Cependant, malgré l’absence de conséquences concrètes à court terme d’un défaut de paiement de l’Ukraine, il faudrait tout de même l’éviter pour améliorer les conditions du retour de l’Ukraine aux prêts extérieurs lorsque la situation en matière de sécurité le permettra. »

La crise budgétaire de l’Ukraine s’aggrave

Contacté par Euractiv, le ministère ukrainien des Finances a souligné les impacts à court terme d’un défaut de paiement, mettant en avant les remarques faites à la mi-juin par le ministre des Finances Sergii Marchenko. Sans restructuration, avait annoncé le ministre, « l’Ukraine ne sera pas en mesure de financer sa défense et de s’engager dans un programme audacieux de redressement et de reconstruction ».

Un rapport conjoint des Nations unies, de la Banque mondiale, du gouvernement ukrainien et de la Commission européenne, publié en février, estimait le coût total de la reconstruction de l’Ukraine à 486 milliards de dollars.

Ce chiffre devrait désormais être nettement plus élevé, car la Russie a intensifié ses attaques contre l’infrastructure énergétique de l’Ukraine depuis la publication de ce rapport.

Globalement, cette possibilité de défaut de paiement intervient dans un contexte de dégradation de la situation budgétaire à Kiev, le gouvernement étant de plus en plus contraint de vendre des actifs de l’État pour financer l’effort de guerre.

Les dépenses militaires de Kiev sont passées de 3,2 % du PIB annuel en 2021 à 37 % l’année dernière (2023), tandis que le déficit total est passé de 4 % à 19,7 % au cours de la même période.

Le FMI prévoit que le ratio dette/PIB annuel de l’Ukraine devrait atteindre 94 % cette année, soit près du double de ce qu’il était avant l’invasion russe.

« Le budget est dans le rouge »a déclaré le mois dernier Oleksiy Sobolev, vice-ministre ukrainien de l’Économie, avertissant que le pays doit « trouver d’autres moyens d’obtenir de l’argent pour maintenir une situation macroéconomique stable » tout en finançant ses propres efforts militaires.

https://www.euractiv.fr/section/economie/news/lukraine-risque-detre-en-defaut-de-paiement-de-sa-dette-des-le-1er-aout/

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