Les arrangements de fin de partie dans le conflit ukrainien font surface comme jamais auparavant. Si beaucoup de choses restent encore du domaine de la spéculation, c’est en grande partie dû au point d’inflexion concernant le résultat de l’élection présidentielle américaine, qui, malgré la propagande médiatique orchestrée contre Donald Trump, reste largement ouvert.
Pour la première fois, la clarté est totale quant au risque élevé de voir le conflit ukrainien se transformer en une confrontation nucléaire entre la Russie et les pays de l’OTAN. L’ambiguïté stratégique prend fin avec la révélation stupéfiante, mercredi à Moscou, des nouveaux contours de la doctrine nucléaire actualisée de la Russie, lors d’une réunion soigneusement chorégraphiée de la conférence permanente du Conseil de sécurité russe sur la dissuasion nucléaire au Kremlin, présidée par le président Vladimir Poutine, et programmée à la veille d’une rencontre cruciale entre le président ukrainien Vladimir Zelensky et le président américain à la Maison Blanche, à Washington.
L’élément le plus crucial des révélations de Poutine est que la Russie a réinitialisé sa doctrine nucléaire selon laquelle, comme il l’a déclaré, « toute agression contre la Russie par un État non nucléaire […] soutenu par une puissance nucléaire (à savoir les États-Unis, le Royaume-Uni ou la France) devrait être traitée comme une attaque conjointe ».
L’implication est que la patience de la Russie est à bout et que les sophismes de l’OTAN pour rejeter la responsabilité des attaques sur le territoire russe sur l’Ukraine ne tiendront plus.
Poutine a en outre déclaré que le passage de la Russie à l’utilisation d’armes nucléaires pourrait même avoir un caractère préventif. En clair, les frappes profondes de l’Ukraine sur le territoire russe et les attaques contre le Belarus déclencheraient désormais une riposte atomique.
La référence aux attaques de drones est significative, car l’Ukraine a lancé à plusieurs reprises des attaques massives de drones contre des bases stratégiques russes.
Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a confirmé par la suite que les déclarations de Poutine « doivent être considérées comme un certain message (à l’Occident). Il s’agit d’un message qui avertit ces pays des conséquences s’ils participent à une attaque contre notre pays par divers moyens, pas nécessairement nucléaires ».
Peskov a ajouté un contexte plus large : « Cela est lié à la situation sécuritaire qui se développe le long de nos frontières… Cela nécessite des ajustements aux fondements de la politique de l’État dans le domaine de la dissuasion nucléaire ».
Le travail de mise à jour de la doctrine nucléaire russe est en cours depuis plusieurs mois. Poutine l’a annoncé pour la première fois en juin. Il a indiqué que cela était dû à l’apparition de nouveaux éléments liés à « l’abaissement du seuil d’utilisation des armes nucléaires » par un « ennemi probable ».
Poutine faisait référence à la mise au point récente par les États-Unis de « dispositifs nucléaires explosifs de très faible puissance » et à leur expérimentation à bord d’un avion de chasse F-35A dans le désert du Nevada. Il est clair que le changement de doctrine nucléaire de la Russie n’est pas destiné à provoquer une escalade immédiate dans le conflit ukrainien.
Le quotidien russe Izvestia rapportait récemment que, depuis 2023, les États-Unis ont commencé à remplacer les vieilles bombes de leurs arsenaux par de nouvelles bombes B61-12, y compris sur le continent européen, dotées d’une charge thermonucléaire d’une puissance variable pouvant atteindre 50 kt, ce qui renforce considérablement les capacités nucléaires américaines.
La nouvelle bombe est devenue très précise – elle est équipée d’un système de contrôle avec des sous-systèmes inertiels et satellitaires qui, avec un empennage contrôlé, la rend similaire aux bombes guidées JDAM. De plus, ses dimensions lui permettent d’être placée dans les compartiments d’armement internes des chasseurs F-35 et des bombardiers stratégiques.
Izvestia écrit : « En général, grâce à ce programme de modernisation, l’armée de l’air américaine a développé une bombe nucléaire pratiquement nouvelle et de haute précision. Au total, il est prévu d’en produire au moins 400 unités ». C’est beaucoup, mais en 2023 les États-Unis avaient lancé en mer un modèle encore plus moderne, la B61-13, dont la charge thermonucléaire est plus puissante, avec un seuil supérieur pouvant atteindre 360 kt.
« Il s’agit d’une modernisation très agressive et dangereuse qui confère aux bombes nucléaires tactiques de nouvelles propriétés », selon Izvestia – c’est-à-dire une grande puissance de charge qui peut détruire une petite ville avec des dizaines de milliers de victimes, une grande précision et la capacité de détruire même des actifs militaires hautement protégés.
Cependant, l’annonce de la mise à jour du document doctrinal par Poutine intervient dans le contexte immédiat des discussions en Occident sur l’autorisation éventuelle par Washington d’attaques en profondeur sur le territoire russe avec des armes à longue portée.
Il est certain que l’écho des révélations de Poutine ne manquera pas de se faire sentir à Washington, dans le contexte de la division partisane déjà existante. Selon le Washington Post, lorsque le président Biden a rencontré Zelensky à la Maison Blanche jeudi, il n’a pas accédé à la demande de ce dernier d’être autorisé à tirer des missiles américains plus profondément en Russie. Au lieu de cela, il a été annoncé la fourniture d’une aide militaire supplémentaire et de nouvelles capacités de défense aérienne, « tout en rejetant la demande principale du pays ».
Il est évident que la stratégie d’escalade progressive poursuivie par les États-Unis (et le Royaume-Uni) sur la base des expériences passées de réactions mesurées de la part de la Russie est devenue obsolète et est en train de s’effondrer. Il est intéressant de noter que l’Allemagne et l’Italie se sont ouvertement opposées à toute frappe à l’intérieur du territoire russe avec des armes occidentales.
Au contraire, l’offensive russe dans le Donbass ne fait que s’intensifier. En fait, les forces russes viennent de prendre d’assaut la « ville forteresse » d’Ugledar à Donetsk, supposée imprenable, où la 72e brigade mécanisée d’élite de l’Ukraine est prise au piège.
Dans la région de Koursk également, la puissante 82e brigade d’assaut ukrainienne, qui a mené l’incursion, est maintenant menacée d’encerclement. Les forces russes progressent sur le champ de bataille tout au long des 800 km de la ligne de front.
La position russe reste que la guerre se poursuivra jusqu’à ce que les objectifs soient atteints. Le 25 septembre, le ministre des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a déclaré lors d’une interview accordée à l’agence TASS : « La victoire est nécessaire [dans la guerre]. Ils [l’Occident] ne comprennent pas d’autre langage. Cette victoire sera la nôtre, nous n’en doutons pas. Nous sommes devenus vraiment unis face à la guerre que l’Occident a déclenchée contre nous ».
Tout cela a rendu la rencontre de vendredi entre le président Zelensky et Donald Trump plutôt intéressante. Homme d’affaires par excellence, Donald Trump s’intéressera toujours à ce que les États-Unis pourraient tirer d’un règlement de la question ukrainienne. L’Ukraine possède des ressources d’une valeur de plusieurs milliers de milliards de dollars qui n’ont pas encore été exploitées et qui sont d’un intérêt vital pour les stratégies « America First » et « MAGA » de Trump.
Avec Zelensky à ses côtés, Trump a ouvertement revendiqué une « excellente relation » avec lui et l’a crédité pour la première fois de l’avoir aidé à gagner son procès en destitution à la fin de 2019. « Il [Zelensky] était comme une pièce d’acier… Je m’en souviens, il aurait pu faire le malin et il ne l’a pas fait, et j’apprécie cela », s’est souvenu Trump.
Par ailleurs, Trump a ajouté : « J’espère que nous aurons une bonne victoire, parce que si l’autre partie [la Russie] gagne, je ne pense pas que vous aurez une victoire sur quoi que ce soit – pour être honnête avec vous. Nous nous assiérons et nous en discuterons… »
La Russie accorde une grande importance à l’intérêt de Trump pour un règlement de la question ukrainienne. Vladimir Medinsky, ancien ministre de la culture et collaborateur de Poutine, qui a dirigé la délégation russe chargée de négocier les conditions de paix avec le gouvernement ukrainien à Istanbul entre le 29 mars et le 1er avril 2022 – et qui a également paraphé le projet d’accord – mais qui a depuis disparu, est récemment réapparu publiquement au Kremlin lors de la visite du Premier ministre hongrois Viktor Orban à Moscou au début du mois de juillet.
Dans le communiqué du Kremlin sur les pourparlers entre Poutine et Orban le 5 juillet, Medinsky est cité comme assistant présidentiel. Orban est venu avec des nouvelles de Trump concernant une voie de paix pour mettre fin au conflit ukrainien.
M.K. Bhadrakumar
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone