mardi 24 septembre 2024

BAH NON, EN FAIT

 Pourquoi Zelensky s’oppose-t-il au plan de paix proposé par la Chine et le Brésil ?

Par Alexandre Lemoine pour Observateur-Continental

Volodymyr Zelensky a accordé une interview au média brésilien Metrópolesoù il a qualifié de “destructeur” le plan proposé conjointement par la Chine et le Brésil pour résoudre le conflit en Ukraine, ajoutant qu’il ne s’agissait que d’une “déclaration politique”. 

À première vue, ces propos peuvent sembler surprenants, surtout si l’on considère les efforts que Kiev a déployés pour s’assurer les sympathies du Sud global, dont la Chine et le Brésil sont des leaders importants. Toutefois, cette réaction de Zelensky est cohérente si l’on comprend sa vision de l’avenir. 

Le 23 mai, la Chine et le Brésil ont publié une déclaration commune, affirmant que la seule voie pour résoudre le conflit en Ukraine était le dialogue et les négociations. De plus, ils ont proposé la tenue “au moment opportun” d’une conférence internationale avec la participation équitable de toutes les parties pour discuter des plans de paix. 

Alors, pourquoi Zelensky est-il fermement opposé à cette initiative? 

Premièrement, cette proposition ne correspond pas aux conditions avancées par Zelensky. Elle ne mentionne ni le retour des territoires ukrainiens ni le paiement des “réparations” par la Russie. En revanche, elle inclut la levée des sanctions, le respect des souverainetés et des intérêts, ce qui signifie de facto le statut de neutralité de l’Ukraine. 

Pour Zelensky, cela est tout simplement inacceptable. Depuis plus de deux ans et demi, il se positionne sur la scène internationale comme une “victime de l’agression russe”, et non simplement comme une partie au conflit. C’est pourquoi il rejette catégoriquement toute autre perspective, allant même jusqu’à affirmer que le Brésil prend parti pour la Russie. Selon le président ukrainien, tout médiateur doit être absolument pro-ukrainien et ne pas offrir de “services de conciliation” ou la “diplomatie de la navette”, mais plutôt faire pression sur la Russie pour qu’elle accepte la paix selon les conditions ukrainiennes, c’est-à-dire une capitulation. 

Deuxièmement, l’initiative sino-brésilienne remporte la concurrence par rapport aux propositions de Zelensky et de ses partenaires étrangers. Objectivement, elle semble être une offre bien plus acceptable pour résoudre le conflit que ses “sommets sur la paix” réservés aux “amis de l’Ukraine”. Il comprend qu’il est en train de perdre non seulement sur le champ de bataille, mais aussi dans la guerre de communication. 

Et ce, alors que pendant deux ans et demi, cette guerre de communication était le seul domaine où l’Ukraine conservait un avantage sur la Russie. 

Enfin, Zelensky s’oppose à ce plan parce que dans le cadre de l’initiative sino-brésilienne, il n’a pas de rôle à jouer. “Zelensky est hostile à tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, tentent de débloquer le processus de négociation. Il les considère comme des ennemis parce que la fin du conflit ne sert pas ses intérêts. La fin du conflit signifierait aussi la fin de son pouvoir politique. Il n’aurait absolument aucune utilité dans le format des négociations à venir”, affirme l’ancien député ukrainien Spiridon Kilinkarov. 

Moscou a déjà clairement déclaré qu’elle ne considérait plus Zelensky comme un dirigeant légitime du pays, et encore moins comme un représentant des intérêts du peuple ukrainien. 

Dans cette situation, si des négociations de paix basées sur l’initiative sino-brésilienne devaient commencer, la question du remplacement de Zelensky par un négociateur légitime se poserait inévitablement. Par exemple, le président du parlement ukrainien, qui deviendrait président par intérim conformément à la loi, pourrait être favorable à une résolution diplomatique du conflit. Cela signifierait une perte de pouvoir pour Zelensky. 

Seul son propre plan est acceptable pour le dirigeant ukrainien, un plan qu’il s’apprête à présenter au président sortant des États-Unis Joe Biden. D’après les descriptions fournies par Zelensky lui-même, ce plan vise à maintenir l’Ukraine comme un avant-poste américain dans la guerre contre la Russie, et Zelensky en tant que gouverneur occidental de cet avant-poste. 

Zelensky développe une stratégie de guerre jusqu’en 2028. Il dialogue avec l’Occident au sujet du financement et du soutien. Il affirme que l’Ukraine dispose encore de suffisamment de ressources humaines pour poursuivre la guerre pendant deux ou trois ans. Son principal problème à l’heure actuelle est le soutien financier et l’approvisionnement en armes. Il ne prend même pas en considération d’autres options. 

Il n’est donc pas surprenant que l’attitude hautaine de Zelensky n’ait pas provoqué de réaction sérieuse chez ses interlocuteurs. Pékin a tout simplement prétendu ne pas avoir remarqué cette attaque. 

“La Chine poursuivra son interaction approfondie avec toutes les parties concernant la crise ukrainienne afin de parvenir à un consensus pour arrêter les combats, ouvrir la voie et construire un pont pour les négociations de paix”, a déclaré le 14 septembre Chen Xiaodong, vice-ministre chinois des Affaires étrangères, lors du Forum de Xiangshan sur la sécurité à Pékin. 

Cette position calme s’explique en partie par le fait que Pékin ne considère pas la position de Kiev comme un problème sérieux. Elle le deviendrait uniquement si l’objectif de la Chine était véritablement de servir de médiateur pour mettre fin au conflit. Cependant, Pékin est conscient de l’impossibilité de parvenir à une paix entre Moscou et Kiev, ou plus précisément, entre Moscou et Washington, vu la position occidentale et la configuration actuelle du front. 

C’est pourquoi la Chine perçoit son initiative uniquement sous l’angle d’une “démonstration de bonne volonté” en tant que pacificateur, dans le but de s’assurer une place à la table des négociations sur la crise ukrainienne, où seront discutées non seulement les conditions de la paix entre la Russie et l’Ukraine, mais aussi les conditions d’un nouvel ordre mondial. Une sorte de nouvelle conférence de Yalta, dont les points principaux sont déjà énoncés dans l’initiative chinoise.

Alexandre Lemoine

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