La décision de l’Allemagne de rétablir des contrôles aux frontières, et la réaction de Donald Tusk
Donald Tusk, le premier ministre polonais, est connu pour ses prises de position favorables à l’Allemagne, dont le lecteur peut prendre connaissance ici, et il est donc surprenant qu’il se soit emporté au sujet de la décision allemande de rétablir à titre temporaire les contrôles aux frontières avec tous les pays voisins. Il a prédit que cette décision va déboucher sur une “suspension de facto de Schengen à une échelle aussi vaste” et a affirmé que “c’est la situation politique intérieure de l’Allemagne qui provoque ces décisions strictes, et pas notre propre politique vis-à-vis de l’immigration illégale à nos frontières.”
Il a raison sur les trois points : cette décision va empêcher la libre circulation des personnes et des biens depuis et à destination de la plus grande économie de l’UE ; les récentes victoires électorales remportées par l’AfD ont provoqué un électrochoc au sein de l’establishment, qui a décidé de mettre en œuvre une politique plus stricte vis-à-vis de l’immigration ; et les frontières orientales de la Pologne sont mieux sécurisées que jamais. Le gouvernement allemand ne peut manquer de connaître ce dernier point, car Tusk a invité l’Allemagne à assurer un contrôle partiel de la frontière orientale de l’Allemagne début juillet, lors d’une conversation avec Scholz.
Cette conversation avait fait suite à leur pacte de “Schengen militaire“ de début 2024, qui autorise les armes et les soldats allemands à transiter librement à travers la Pologne jusqu’à la nouvelle base allemande située en Lituanie. Entre ces développements, la Pologne a renforcé la sécurité à ses frontières d’une manière allant bien plus loin que bloquer les migrants, dans le cadre de la politique étasunienne de mise sous pression de la Russie. Bien que cela ait exacerbé encore davantage les tensions de la Nouvelle Guerre Froide, ce renforcement a eu pour effet de réduire de moitié le nombre de migrants illégaux en provenance du Bélarus ; dans les trois semaines, ce nombre est passé sous les 2000.
Objectivement, la crise de l’immigration allemande a déjà presque 10 ans, et constitue le résultat direct de la politique libéral-mondialiste menée par les élites du pays, consistant à encourager “une immigration de remplacement” en provenance du Grand Sud, et ne doit rien à la frontière supposément poreuse entre la Pologne et le Bélarus. Tusk a pleinement subordonné la Pologne à l’Allemagne — ce point est explicité dans l’analyse qui fait l’objet d’un lien dans l’introduction —, si bien que les décisions allemandes ne constituent pas un retournement vers le mandataire qu’est la Pologne, ni une punition pour sa désobéissance.
Certains observateurs soupçonnent que les derniers rapports en date, faisant état d’une complicité de la Pologne dans les attaques terroristes contre Nord Stream, ont joué un rôle dans les calculs de l’Allemagne, mais les mesures récemment adoptées provoquent des problèmes aux personnes et aux milieux d’affaires des deux côtés de la frontière, et pas au gouvernement polonais (ni dans son ensemble, ni pour partie). Cela aura en tous cas donné à Tusk un prétexte pour finir par se dresser face à l’Allemagne, dans un contexte d’élections présidentielles 2025 qui approchent en Pologne ; cela constitue donc une tentative de repousser les accusations lancées par Jaroslaw Kaczynski, le dirigeant de l’opposition, qualifiant Tusk d’“agent de l’Allemagne“.
Mais pour élevé que soit le volume de ses cris, il est peu probable de voir Tusk retirer la Pologne du “Schengen militaire”, ce qui empêcherait la libre circulation des armes et des soldats allemands à destination et depuis la nouvelle base allemande située en Lituanie — alors que l’Allemagne vient de bloquer la libre circulation des biens et des personnes depuis et vers la Pologne. Une telle décision constituerait une réponse propice et symétrique, mais la Pologne se verrait accusée de “gêner les efforts de guerre occidentaux” contre la Russie, et elle n’osera pas prendre ce risque.
Pour en revenir au vraies motivations sous-jacentes à ces décisions, Tusk a raison d’évoquer que les victoires électorales récentes remportées par l’AfD sont responsables de cette politique, adoptée par désespoir par les élites allemandes au vu de leurs profondes conséquences économiques et politiques. La conclusion en est que l’establishment entretient des craintes réelles vis-à-vis de la croissance de l’AfD dans l’avenir, et prend ainsi le risque d’affaiblir l’unité de l’Europe ainsi que son hégémonie récente sur la Pologne, dans le seule but de maintenir son pouvoir en Allemagne.
Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.
Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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